La police contre la rue

ROCHÉ Sébastien, RABATÉ François, Éd. Grasset, 2023, 315 p.

Aucune police d’un pays démocratique n’est autant critiquée par les instances internationales des droits de l’homme que celle de notre pays. Suite éditoriale du documentaire éponyme, les auteurs de ce livre expliquent pourquoi, en donnant la parole à de multiples témoins.

Dans un pays comme le nôtre où les manifestations de rue sont une tradition séculaire, convenons que le travail de la police n’est pas facile. Mais, alors que nos voisins de Grande Bretagne et d’Allemagne ont choisi la « gestion des foules », la France opte pour le « maintien de l’ordre ».

Se font face deux impératifs : la préservation de l’ordre public d’un côté et, de l’autre, le droit inaliénable d’expression et de manifestation. Le juste équilibre entre les deux est délicat. Force est de constater que, chez nous, la politique sécuritaire l’emporte, guidée par le fantasme d’une populace émeutière prête à chaque instant à renverser la République. Il faudrait donc lui opposer de la masse et de la dissuasion.

C’est la troisième République qui mit un terme à la répression sanglante des manifestations de rue. C’est à partir de cette période historique que les missions de l’armée et de la police devinrent distinctes. Que les soldats cessèrent de tirer sur la foule. Que, progressivement les forces de l’ordre se spécialisèrent, se professionnalisèrent et s’encasernèrent, se déplaçant sur l’ensemble du territoire en fonction des nécessités. La doctrine qui s’imposa petit à petit est bien celle de la désescalade et du zéro mort.

Cela ne se fit en une seule fois. Se succèdèrent des épisodes d’une grande violence (répression meurtrière des 17 octobre 1961 et 8 février 1962) et d’accalmie (politique d’apaisement menée par le préfet Grimaud en mai 1968). En témoigne la création des pelotons de voltigeurs motorisés en 1969, et leur dissolution en 1986, après le meurtre de Malik Oussékine quy’il commirent.

Cette évolution sera percutée par les émeutes de banlieue qui surviennent en 2005 et la récente révolte des gilets jaunes. En décembre 2018, le détachement d'action rapide (DAR) est créé auquel. Lui succède, en mars 2019, la brigade de répression de l'action violente motorisée (BRAV-M). Deux acronymes pour désigner un équipage composé d’un pilote et d’un policier matraqueur.

Dès lors, c’est une course à l’armement qui s’engage. Les policiers sont dotés d’armes de guerre susceptibles de provoquer de graves lésions, voire de conduire potentiellement à la mort : pistolets à impulsion électrique, grenades de désencerclement, balles en caoutchouc des LBD. Les mutilations se multiplient.

Puis, la stratégie de terrain change. Dorénavant, les manifestants font l’objet de charges policières dont l’objectif est non seulement de les disperser, de les briser en petits groupes, mais aussi de les regrouper dans des nasses pour mieux les tabasser.

Alors que les autres pays préservent le choix de la désescalade, la France s’enlise dans une volonté de privilégier l’affrontement et l’escalade, comme l’a montré le fiasco du stade de France le 28 mai 2022. Ce n’est plus quelques brebis galeuses qui sont en cause, mais une politique du maintien de l’ordre marquée par la violence décuplée et toujours plus agressive d’une police qui se lâche.