Utopies réelles

WRIGHT Erik Olin, Ed. La Découverte, 2017, 613 p.

Après de milliers d’années de stagnation et de survie aléatoires, la société humaine a adopté une organisation qui lui a apportée une prospérité et un confort inégalés. Le capitalisme constituerait dans l’histoire une formidable opportunité favorisant l’épanouissement de notre espèce, s’il n’était porteur de toute une série de dérives inhérentes à sa logique profonde : creusement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres, consumérisme sans limites détruisant la nature, marchandisation dégradant les valeurs humaines, compétition encourageant les violences entre individus et communautés etc… L’état des lieux est connu. Si Erik Olin Wright en dresse un tableau récapitulatif, c’est pour mieux poser les bases de son raisonnement qui se poursuit par une évocation sans concession des tentatives infructueuses marxistes et social-démocrate d’alternatives crédibles. La solution prônée et présentée par l’auteur est déjà là : ce sont ces stratégies interstitielles plus ou moins autonomes du pouvoir établi qui se glissent dans des espaces non investis ou négligés par la logique dominante. De telles pratiques ne sont pas forcément subversives. Certaines d’entre elles militent pour une reconstruction de la société dans son ensemble, quand d’autres ont des objectifs bien plus modestes et limités. Mais, chacune remet en cause à sa façon les principes du capitalisme. A l’image du budget participatif municipal de Porto Allegre, une mégalopole brésilienne d’un million d’habitants qui est géré par des assemblées populaires. A l’image du chantier de l’économie sociale initié par la Province du Québec. Cette commission permanente, qui regroupe des représentants du monde associatif, joue un rôle majeur dans l’élaboration des politiques publiques ayant, par exemple, exclu le secteur marchand des subventions étatiques. A l’image de Wikipedia, fonctionnant sur la base du partage des connaissances fournies par des contributions de volontaires non rémunérés, venant alimenter cette encyclopédie en ligne, en libre accès. A l’image de ces logiciels open source disponibles gratuitement s’opposant au principe de la propriété intellectuelle. Mais, on peut aussi évoquer ces coopératives autogérées de producteurs ou de consommateurs, ces services issus de l’économie sociale et solidaire, ces organisations transnationales dédiées au commerce équitable. Ce qui est en jeu, c’est bien le renforcement démocratique et égalitaire du pouvoir d’agir des citoyens que proposent ces nouvelles formes de relation sociale, alternatives concrètes à la domination hiérarchique, centralisée et descendante traditionnelle.

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1228 ■ 03/05/2018