La pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques
BONNER Gérald, Ed. Puf, 2015, 368 p.
Il faut se méfier des explications mono causales réduisant le profil polycéphale du fanatique aux seuls facteurs économiques ou sociaux, psychiatriques ou éducatifs. Ceux qui s’abandonnent à la pensée extrême ne sont ni fous, ni incultes, ni désocialisés, ni idiots. Le croire revient à ériger une zone d’étanchéité nous permettant d’ignorer les croyances tout aussi naïves que nous véhiculons et de refuser d’identifier l’irrationalité d’autrui en miroir avec la part la plus obscure de notre propre fonctionnement. Car, le constat est cruel : les progrès de la connaissance comme ceux de la raison n’ont fait reculer ni les idées saugrenues, ni l’obscurantisme. Cela s’explique par les traits anthropologiques de l’espèce humaine qui limitent notre esprit au plan culturel et cognitif et nous rendent prisonniers de notre rapport inconditionnel aux croyances. C’est pourquoi Gerald Bonner affirme que l’extrémiste s’appuie sur des thèses cohérentes et adopte des moyens en adéquation avec les fins qu’il poursuit et qui ne nous semblent absurdes que parce que nous ne faisons pas l’effort de reconstruire le cheminement qui les inspire. Comprendre le raisonnement d’un individu et en admettre les termes et conclusions sont deux opérations distinctes. L’auteur s’attache à la première, sans tomber dans la seconde. Son propos consiste à mettre à jour le mécanisme de la pensée extrême. Il identifie deux caractéristiques fortes dont la combinaison aboutit aux actes extrémistes : la propension à une croyance volontiers ou peu transsubjective (capacité de partage avec le plus grand nombre) et peu ou très sociopathique (déni du droit de vivre accordé aux autres humains ne pensant pas à l’identique). L’extrémisme désigne donc « l’adhésion inconditionnelle à des croyances faiblement transsubjectives et/ou ayant un potentiel sociopathique » (p.172) Autrement dit, toute personne persuadée de détenir la vérité et décidée à l’imposer sur le marché cognitif, en éliminant si nécessaire physiquement celles et ceux ne la partageant pas. Sont particulièrement sensibles à cette dérive les sujets confrontés à la frustration, quand leurs aspirations et le degré de satisfaction ressenti sont en net décalage. Nos sociétés démocratiques paient cher les rêves qu’elles suscitent et les déclassements qu’elles font vivre. Et la pensée extrême offre justement un produit très convainquant permettant de répondre à ces insatisfactions, offrant de redéfinir l’identité et les priorités et laissant entrevoir l’espoir de pouvoir enfin accéder à un statut conforme aux attentes. Plongé dans une micro société refermée sur elle-même et ressassant sans cesse les mêmes arguments et indignations, insensible à l’existence de systèmes de raisons concurrents, immunisé contre toute contradiction, l’extrémiste n’ignore pas le mal, il se sent légitimé et autorisé à l’accomplir.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1188 ■ 23/06/2016