L’idéal et la cruauté. Subjectivité et politique de la radicalité

BENSLAMA Fehti et all, Ed. Lignes, 2015, 200 p.

Quels sont les ressorts subjectifs du processus de radicalisation et du passage à l’acte violent ? Fehti Benslama et douze autres contributeurs nous proposent ici une matière à penser tout à fait passionnante. La chute, en 1924, du dernier empire islamiste, remplacé par la république laïque turque a provoqué une onde mélancolique et vengeresse qui alimente encore aujourd’hui la nostalgie d’un califat qui vécut 624 ans. L’effet de souffle réel et symbolique ainsi produit se retrouve dans l’appel au Djihad pour réparer la blessure narcissique et l’idéal mutilé. L’objectif de cette radicalisation ? Le retour au patriarcat traditionnel et la référence à un Dieu inflexible et intransigeant : opposer le religieux à la sécularisation, la violence absolue à l’idéal pacifique, la morale puritaine à la libération sexuelle, la dissymétrie homme/femme à l’égalité des genres, la primauté des valeurs sacrées à l’autonomie du sujet, les lois divines à la suprématie du peuple. Deux profils de populations adhèrent à l’Islam radical. Des jeunes désaffiliés, d’abord, vivant un sentiment de profonde indignité et d’insignifiance et transformant le mépris ressenti en vengeance contre une société jugeante, à son tour condamnée. Des jeunes issus des classes moyennes, ensuite, recherchant l’autoritarisme inflexible et le rigorisme répressif, en réponse au nivellement généralisé et à la perte de légitimité. Le jeune de banlieue ne croyant plus à sa promotion partage avec le jeune de classe moyenne craignant son déclassement la même absence de tout horizon d’espérance. Le voyage en Syrie s’identifie à un rite initiatique : à l’échec existentiel, au ressentiment, à la blessure d’idéal, au désespoir, à la vacuité de sens et à la crise identitaire s’opposent le romantisme révolutionnaire, la quête de l’aventure, l’attirance pour le sacré et la volonté de s’éprouver. 

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1188 ■ 23/06/2016