L’œil sécuritaire, mythe et réalités de la vidéosurveillance

LEMAIRE Elodie, Éd. La Découverte, 2019, 207 p.

La vidéosurveillance privée ou publique n’a cessé d’envahir nos vies, passant de 340 000 caméras en 2007, à 935 000 en 2012. Les cassettes et magnétoscopes ont été remplacés par des disques durs, la haute définition et un champ de vision à 360°. Cet outil permet de protéger les citoyens et dissuader la délinquance, affirment ses partisans. Mais, qu’en est-il vraiment de son efficacité ? C’est à cette question que répond le livre de l’auteure qui a enquêté auprès des vidéo-opérateurs, des sociétés qui commercialisent ces produits, des policiers, des magistrats. De quoi écarter bien des illusions. Tout d’abord, aucune vidéo de protection n’a jamais permis de défendre en temps réel une personne agressée. Son utilité ne peut être démontrable qu’après-coup. Derrière les caméras, on ne trouve pas des professionnels de la sécurité formés au profilage, mais des salariés à la rémunération modeste, aux contrats précaires, au travail peu qualifié et peu valorisé. Si certains d’entre eux sont à l’affût du délit flagrant, d’autres relaient le trafic auto et la météo auprès des radios locales. Les vendeurs de cette technologie reconnaissent eux-mêmes les frustrations de beaucoup de clients déçus par rapport aux attentes fantasmagoriques initiales qu’ils nourrissaient. Car, les pannes fréquentes, les carences en techniciens et ingénieurs-réseau capables d’entretenir et de réparer les circuits, la médiocre qualité des images … éloignent du triptyque publicitaire « dissuader, élucider, rassurer », seul le dernier se concrétisant vraiment. Pour autant que les visages soient identifiables, que la scène ne soit pas saccadée ou coupée, que le délai de conservation ne soit pas dépassé, que la garantie de fiabilité et d’absence de manipulation soient apportée … la contribution de la vidéosurveillance à la résolution des affaires judiciaires est possible. Pour autant, les éléments qu’elle fournit ne sont admis que sous réserve de venir corroborer d’autres preuves. Sur 122 dossiers où elle est intervenue, que l’auteure a consultés, l’identification des suspects a été assurée dans 7% des cas. Si le marché privé de la sécurité trouve là une manne financière sans précédent, que dire de la transformation du droit à la sécurité, jusque-là du ressort de l’Etat, en un bien marchand qui absorbe de plus en plus les budgets dédiés à la présence humaine sur le terrain ?

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1283 ■ 10/11/2020