La planète lycéenne - Des lycéens se racontent
Bernard Defrance, Syros, 1996, 208 p.
Bernard Defrance est un prof de philosophie pas comme les autres. Il propose à ses élèves de terminale de s’exprimer par écrit, mais sans que leur travail soit noté.
« Un philosophe qui donne une note n’est plus un philosophe » (p. 28). Il a réussi à les convaincre que ce qu’il leur demande, ce n’est pas de produire en fonction de ce que le jeune croit qu’on attend de lui, mais bien en fonction de ce qu’il a envie de dire. Cela a produit des centaines de textes qui apparaissent comme autant de témoignages percutants et pertinents sur les générations qui se sont succédés depuis 10 ans.
Le livre de Bernard Defrance regroupe un certain nombre de ces écrits. Le résultat est tout à fait saisissant. Angoisse de vie, inquiétude de mort, anxiété face à l’avenir
ponctuent des lignes d’où ressortent les confidences sur les violences vécues, les humiliations subies et les droits bafoués. Rackets, vols, bagarres: autant de morceaux de vie qui n’avaient jamais été dévoilés et que les adolescents révèlent en toute confiance. Châtiments corporels, punitions collectives, incidents dérisoires: l’écriture joue un rôle libérateur. Dans la violence ambiante des jeunes si communément dénoncée « ce n’est pas leur violence qui m’étonne, c’est leur absence de violence, leur capacité à supporter parfois l’intolérable, sans en être trop détruits » (p.87) affirme l’auteur. Cinquante mille tentatives de suicide, cent milles fugues chaque année viennent témoigner du désarroi et parfois du désespoir des jeunes générations.
L’école est bien placée pour répondre à cette détresse. Il lui suffit de remplir son rôle d’apprentissage de la citoyenneté. Mais encore faut-il que l’institution se plie à un minimum d’exigences. Nul ne peut se faire justice soi-même: pourtant un prof peut fort bien punir l’élève qui lui manque de respect. Nul ne peut être mis en cause pour un acte qu’il n’a pas commis: pourtant, est-ce si rare de voir appliquer des punitions collectives ? Nul ne peut être sanctionné au niveau pénal pour un acte relevant du civil: pourtant il est courant d’infliger des retenues ou des colles pour un manque d’acquisition de savoir qui ne pénalise que l’individu ou inversement de punir des comportements déviants par une baisse de la note concernant l’évaluation des connaissances. Devant une telle accumulation de situations de non-droit, comment s’étonner de réactions que les jeunes développent eux-mêmes en marge de l’ordre juridique ? Si l’on veut que la classe soit un lieu d’apprentissage de la démocratie, alors il faut distinguer celui qui enseigne de celui qui évalue dans le sens d’une validation externe des compétences acquises, et faire en sorte que l’instance qui juge au sein de l’école ne soit pas composée des personnes impliquées dans le litige. Quant aux règlements intérieurs, ils doivent prévoir leurs propres règles de modification et leur « code de procédure ». Dès lors pourront s’instaurer les procédures fragiles qui permettent de se parler et de s’interdire la violence sous toutes ses formes et à l’égard de qui que ce soit.
Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°378 ■ 19/12/1996