SEPIA (22)
Quand éducatif et soins marchent de concert
En Bretagne, une équipe du Conseil départemental démontre qu’il est possible de travailler en réseau auprès des situations les plus en difficulté sur le plan psychique.
L’année 2003 fut marquée dans les Côtes d’Armor par la fermeture de lits en hôpital spécialisé, venant aggraver encore la carence de places en établissements médicaux sociaux (IME, IMPRO, ITEP, etc ...). Des dizaines d’enfants et de jeunes au parcours atypique et au profil complexe mêlant une situation de danger et des troubles psychiques se trouvèrent alors sans solution. Face à ce contexte, le Conseil départemental passa commande au Centre départemental de l'Enfance et de la famille de la création d’une structure spécifique à destination de ce public spécifique. L’idée première de les accueillir sur le site même du CDEF fut très vite écartée, la réunion de jeunes à problématique multiple sur un même lieu de vie ayant montré ses limites. Si le projet d’un accueil dans une grande maison située à une dizaine de kilomètres du siège n’avait alors rien de très original, la configuration éducative imaginée le fut bien plus. Car, le Service Educatif Psychothérapeutique Institutionnel pour (enfants) et Adolescents (SEPIA) qui ouvre en 2006 n’est pas un internat classique de plus. Le choix qu’il fait, dès le départ, relève d’une dynamique séquentielle, intervenant là où se trouve le jeune et en tenant pleinement compte de ses spécificités et de sa singularité. L’adolescent n’est pas hébergé à titre permanent. Il alterne parfois selon la nécessité, un séjour ponctuel dans l’une des quatre chambres mis à disposition par le SEPIA avec un hébergement dans sa famille, dans son foyer, dans un établissement médico-social ou dans sa famille d’accueil. Ce qu’on lui propose, c’est une respiration, une séquence alternative, un pas de côté, pour lui permettre de souffler mais aussi de ne pas épuiser ceux chez qui il loge d’habitude. L’équipe qui gère ce dispositif est mixte. Elle est composée d'un chef de service, de trois infirmiers, de neuf éducateurs, d’une psychologue et d’une maîtresse de maison. L’effectif pris en charge est de quatorze mineurs, âgés de six à dix-huit ans. Pour être admis, ils doivent obligatoirement relever à la fois de la protection de l’enfance (mais une simple aide éducative administrative peut suffire) et du soin. Trois écueils ont été évités. Celui, tout d’abord, d’une confusion avec l’accueil d’urgence : l’adéquation de la candidature est étudiée par une commission d’orientation regroupant les professionnels qui connaissent sa problématique. Aucun jeune n’est donc intégré dans la précipitation. Second risque : la transmission du « paquet de pointes ». Il ne faudrait pas que les partenaires se déchargent de leur prise en charge conjointe, une fois le jeune admis. L’entrée est donc conditionnée à l’élaboration d’un accord de collaboration entre les différents intervenants qui doivent continuer dans leur mission. Il n'y jamais d'admission si le SEPIA est le seul intervenant. Troisième dérive potentielle, la substitution. Le service est certes disponible 24h/24 et 365 jours sur 365. Il met, en outre, à disposition une écoute permanente. Il offre la possibilité donc de répondre aux situations de crise. Mais, le service n’a pas pour ambition de remplacer les professionnels et les familles. Il cherche plutôt à les soutenir, à les accompagner et à les appuyer. Et, l’expérience montre que l’écoute attentive et rassurante, ainsi que les conseils ponctuels ont permis d’apaiser bien des situations à distance. Face à ce dispositif des plus innovant, on ne peut que s’interroger sur l’initiative d’un Conseil départemental venant suppléer aux carences du secteur de santé. « Il s'agit d'une démarche volontariste du département de financer une équipe mixte à la fois soignante et éducative, en ne faisant pas appel à l’hôpital », explique Jean-Paul Kelle, chef de service du SEPIA. « Nous n’intervenons pas exactement au même niveau que la pédopsychiatrie qui se concentre sur l'étude, le traitement, et la prévention des troubles mentaux qui affectent les enfants. Nous ne sommes donc pas en compétition, mais en complémentarité. D’ailleurs, nous anticipons et programmons des séquences d'hospitalisation pour certains jeunes et pouvons toujours y avoir recours en phase de crise. Les uns, sans les autres, nous ne pourrions pas travailler. » Ce service plutôt original fonctionne depuis plus de dix ans. S’inspirant de la psychothérapie institutionnelle, il a trouvé sa place, se présentant comme relais potentiel dans un maillage qui articule la protection de l’enfance et le médico-social. Et, à une époque où l’on ne parle que de restrictions financières et d’économie budgétaire, son prix de journée est à peine supérieur à celui d’un internat classique. Comme quoi la créativité et l’innovation ne sont pas toujours conditionnées à un déploiement de moyens supplémentaires, même si l’impact à moyen et long terme justifiera toujours les investissements immédiats plus ambitieux.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1217 ■ 16/11/2017