Le centre de Keravel

Entre animation sociale et prévention spécialisée : le centre de Keravel

L’action sociale « hors-les-murs » est de plus en plus prisée. Le monde de l’animation en vient, lui aussi, à la pratiquer. Depuis 2016, le centre Keravel (29) a franchi le pas, bousculant les repères et brouillant les frontières.

Comme beaucoup d’associations, de comités d’entreprise, de municipalités, les Pupilles de l’Enseignement public (PEP) du département de la Mayenne ont acquis dans les années d’après-guerre de grandes bâtisses pour accueillir des séjours d’enfants. Ils achètent le centre de Kéravel de Plousganou en 1960, pour y organiser des classes de mer. Jusqu’au début des années 2000, ils y reçoivent en plus des colonies de vacances et des stages BAFA. Quand la municipalité sollicite les PEP pour ouvrir un centre de loisirs à l’année, Patrick Jacquinet (le Directeur de l’époque) se saisit de l’occasion pour élargir son champ d’activités. Quelques années plus tard, une nouvelle demande est transmise, mais cette fois-ci, pour les adolescents. Toute action en direction de jeunes vivant en milieu rural se heurte au même problème : la mobilité. Difficile de se déplacer sur un territoire où les liaisons par car se font au rythme d’un aller le matin et d’un retour le soir et qu’on ne dispose pas de moyens de transport individuels. D’autant plus, quand on veut sortir de sa commune. Autre interrogation : faut-il attendre que les jeunes viennent vers l’animation ou que ce soit elle qui aille vers eux ? Question essentielle, quand une étude réalisée sur le territoire français indique que les clubs de jeunes ne sont fréquentés que par 3 à 8 % du public à qui il s’adresse.

 

Aller vers

C’est sur un tel projet que Guillaume Dilasser est recruté en 2016 : « quand je commence à travailler, je ne dispose d’aucun local dédié. La commune met à ma disposition des équipements sportifs et des salles d’activité que je pouvais utiliser à ma convenance » explique-t-il. C’est au volant d’un minibus qu’il se met à sillonner la commune. Prenant contact avec les jeunes là où ils se trouvent, il les invite à diffuser sur les réseaux sociaux l’information de sa présence à leurs pairs. C’est vrai que beaucoup d’entre eux ont fréquenté le centre Keravel pendant leur enfance : un solide passeport pour se faire accepter. Il se rend aussi au collège François Charles de Plougasnou pour se présenter aux élèves. Il y développera, par la suite, des ateliers sur la pause méridienne. Il n’hésite pas à monte aussi dans les cars scolaires qui assurent les trajets des lycéens. Ayant pour objectif de s’adresser à une classe d’âge élargie aux 13-30 ans, l’animateur passe le seuil des bars où les plus âgés se retrouvent régulièrement. S’il organise une animation classique (soirée jeux de société, activités sportives, séjour …), c’est une autre démarche qu’il propose aux plus grands : un accompagnement social fondé sur le suivi individualisé de leur projet de vie. Il n’a pas l’ambition de remplacer les professionnels de l’insertion, mais de servir d’interface, en mettant en relation les jeunes et les institutions qui leur sont dédiées, mais peu fréquentés, par ignorance ou pour des problèmes de mobilité. Guillaume Dilasser réussira même à embarquer à bord de son minibus des intervenantes du P.A.E.J (point d’accueil écoute jeunes, association Cesam) et du Point information jeunesse de Morlaix pour aller à la rencontre des jeunes de Plougasnou. La pertinence du choix initial prenait ainsi tout son sens. « L’animateur qui est présent dans un local accueillant des jeunes ne peut en même temps se rendre disponible pour accompagner les différentes démarches sur l’extérieur » commente l’animateur. « L’aller vers » a permis au centre Keravel de se faire connaître de 85 % du public auquel il s’adresse. Si cette initiative a été couronnée de succès, c’est aussi parce que son financement a pu être trouvé. Il arrive parfois que l’on évoque « un alignement des planètes », pour expliquer des conjonctions bienvenues. Au même moment, Morlaix communauté (1) à laquelle appartient Plougasnou sélectionne le Centre Kéravel, avec cinq autres « maitre d’ouvrages », pour mettre en œuvre son projet de « remise en question de l’animation jeunesse ». Pendant quatre ans, le poste de d’animateur a donc été financé à moitié par la commune et l’autre moitié par ce programme. Le temps de démontrer sa pertinence et son intérêt et d’en pérenniser l’existence. Aujourd’hui, Patrick Jacquinet a fait valoir ses droits à la retraite. Guillaume Dilasser l’a remplacé au poste de Directeur, et c’est Pierre Mesguen qui a pris le volant du minibus.

 

Quand la législation s’en mêle

Il est tentant de rapprocher ce dispositif du fonctionnement de la prévention spécialisée: accompagnement social, « aller à la rencontre », travail en soirée les vendredi et samedi etc … « Il est difficile pour une commune de 3 000 habitants comme Plougasnou, dont 60 % des logements sont des résidences secondaires, de se doter d’un éducateur de rue. Nous comblons un manque et répondons à des besoins. Nous sommes peut-être en train d’inventer un nouveau métier ! » réagit Guillaume Dilasser. Cette porosité entre les deux champs n’est pas sans poser des questions de législation, celle régissant l’éducation spécialisé n’étant pas identique à celle de l’animation. Ainsi, la règlementation DRAJES (ancienne Jeunesse et sport) impose des normes d’encadrement qui prévoient un animateur pour douze mineurs. « Comment fait-on quand un treizième jeune arrive à une soirée ? » s’interroge le nouveau Directeur de Keravel. La même règlementation impose que toute activité sportive soit encadrée par un animateur titulaire d’un brevet d’Etat spécialisé dans cette discipline. « Doit-on refuser d’accepter dans le minibus un jeune qui demande à être accompagné à la plage, avec son kayak, pour pratiquer son sport ? » continue-t-il. La nouvelle « prestation service jeune » proposée par la Caisse d’allocation familiale ne finance plus à l’activité, mais au poste, sur une politique globale fondée sur les principes de l’« aller vers » et du travail partenarial. On n’est plus dans le registre du quantitatif, mais du qualitatif. Une capacité de souplesse, d’ajustement et d’adaptation qui pourrait bien faire école.

Contact : 02 98 72 31 66 / 06 35 66 08 61 centre.keravel@lespep53.org 

 

 (1) dans le cadre « Jeunes en TTTrans » (transversalité, transitions, transformations), recherche-action portée par le département des Sciences Humaines et Sociales de l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) et accompagnée par l’ANRU. Ce projet vise au développement de politiques locales de jeunesse intégrées dans trois territoires bretons, s’appuyant sur l’ensemble des acteurs publics, privés et associatifs (y compris les jeunes) https://jettt.org/le-projet/


 

 Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1318 ■ 24/05/2022