Pédagogie du Projet - Nantes (44)

Comment se former à ses propres projets ?

La pédagogie du projet est un outil largement utilisé par le secteur socio-éducatif. Cette approche est devenue avec Jean Vassilief non seulement une méthode, mais une démarche pédagogique tournée vers l’autonomie du sujet. Explications.

Il sont dix sept. Il y a là des jeunes et des moins jeunes, des ouvriers licenciés récemment et des salariés précaires qui connaissent depuis des années l’intérim et les petits boulots. Toutes et tous ont accepté de suivre cette formation d’une durée de huit semaines. Ce n’est parfois pas la première fois qu’ils suivent ainsi un stage et sont rodés à la procédure employée : démarches pour trouver une formation qualifiante, semaines passées au sein d’une entreprise, apprentissage du maniement du téléphone, des attitudes à adopter pour l’entretien d’embauche ou de la rédaction d’un Curriculum Vitae. Pour ceux-là, une telle session présente le risque de ressembler aux « stages-parking » précédemment vécus et qui n’ont pas débouché sur l’insertion espérée. Mais, il est mal vu de ne pas montrer qu’on fait des efforts pour s’en sortir. Alors, sous l’effet de la pression sociale et familiale, ils ont accepté. Pour d’autres, c’est une découverte, et ils ont investi ce stage avec l’espoir de voir se concrétiser leurs aspirations à avoir enfin un travail. Ils sont tous là à 9h00 comme la convocation les y invitait. Deux formateurs les accueillent et mettent en oeuvre la dynamique de groupe qui va créer le climat de confiance et d’entraide. Ils proposent un tour de table au cours duquel chacun expliquera, s’il le désire, ce qu’il a vécu, les difficultés qu’il rencontre et quels sont ses souhaits en matière professionnelle ... Puis, ils tiennent un discours étonnant : « ce n’est pas nous qui allons pouvoir enrayer le chômage. Nous sommes des experts aux mains vides. Nous ne pouvons vous garantir une solution positive à l’issue de ce stage. Tout ce dont nous disposons c’est de ces huit semaines d’espace temps que nous vous proposons de vous remettre, pour que ce soit vous qui décidiez ce que vous voulez en faire. Nous n’avons rien prévu de spécial. Nous sommes seulement là pour vous accompagner. » Dans le groupe, c’est l’étonnement. La réunion d’information qui avait précédé le stage avait pourtant été l’occasion de présenter la façon dont ça allait se passer. Mais, ce n’est qu’une fois sur place que chacun a pu prendre la mesure de ce qui était proposé. Déboussolés, déstabilisés, les stagiaires réagissent différemment. Une mère de famille laisse éclater son angoisse, expliquant qu’elle est venue ici pour essayer de s’en sortir et qu’elle ne supporte pas qu’on ne l’aide pas : les formateurs savent comment faire et doivent le lui apprendre. Un ouvrier récemment licencié reproche aux intervenants d’être payés pour un travail et qu’ils doivent le faire. Un jeune donne dans la provocation et explique que puisque le temps lui appartient, il veut justement l’utiliser pour faire les réparations nécessaires sur son véhicule, en conséquence de quoi, il ne pourra pas venir cet après-midi... Les formateurs reprennent une à une les remarques ou protestations qui ont émergé, mais continue dans le même discours. Les stagiaires découvrent progressivement qu’ils n’ont d’autres recours qu’eux-mêmes pour élaborer leur projet.
 
 

Adaptation ou projection ?

Quittons quelques instants la scène de ce stage, pour mieux comprendre la démarche qui y est engagée. Les formateurs de l’Institut de la Pédagogie du Projet considèrent que, face à un public en demande d’insertion, ils ont à favoriser la recherche, l’élaboration, l’expérimentation du projet que la personne souhaite réaliser et lui permettre d’acquérir des compétences nécessaires à sa réalisation. Le défi qu’il leur faut relever, c’est bien de faire émerger ce projet de vie. Dans sa confrontation au quotidien, chacun d’entre nous met en oeuvre deux capacités. La première de ces aptitudes consiste à s’adapter. C’est cette prédisposition qui permet à l’être humain de survivre dans les multiples conditions géographiques, climatiques, sociales auxquelles il est confronté. Cette faculté est précieuse en ce qu’elle lui permet de s’ajuster aux contraintes et exigences de son milieu. Si l’adaptation est une condition première de la survie, la vie nécessite une autre capacité : la projection. Ce mécanisme est le symétrique inverse du précédent : il consiste à produire ses propres repères et transformer l’environnement à partir de ses aspirations. Si l’adaptation implique une démarche de soumission au contexte et d’intériorisation de ses obligations, la projection amène à extérioriser son désir et à modifier son rapport avec le monde en fonction des ses valeurs et de ses choix. Chacun fonctionne en permanence, sur la base du couple adaptation/projection. Mais le poids de l’éducation familiale, les pressions des groupes d’appartenance, les convenances sociales, les obligations que font peser à un moment ou à un autre la société (et qui peuvent changer selon les périodes) sont les puissants déterminants à l’origine de la domination du réflexe d’adaptation. On sait obéir, on sait moins inventer. On sait imiter, on sait moins créer.
En situation de formation, il est de tradition pour l’institution de proposer un cadre, des orientations et des objectifs très précis auxquels les stagiaires vont naturellement s’adapter. En organisant un vide institutionnel (relatif néanmoins, car l’institution reste présente avec ses moyens matériels, techniques et humains), les formateurs suppriment les repères et rendent le mécanisme d’adaptation impossible. Il ne reste plus alors aux stagiaires que la ressource de la projection pour fournir le matériau qui va alors constituer la base du travail entrepris. Le malaise qui en résulte est une étape incontournable. Il est trop inhabituel d’avoir recours aux stratégies projectives pour réussir ainsi subitement à les placer d’emblée aux commandes de son comportement. A ce stade, ce qui va s’engager alors, c’est de permettre à chacun(e) de retrouver son authenticité et d’arriver à identifier ce qui relève des projets d’adaptation et ce qui correspond à une véritable projection. Deux outils sont utilisés à cet effet : la dynamique de groupe et les histoires de vie. Parler de soi devant un groupe, c’est apprendre à assumer ce qu’on est et renoncer progressivement à jouer des jeux pour coller avec ce que les autres voudraient que l’on soit. C’est essayer de se construire tout en s’assumant socialement. L’histoire de vie peut alors permettre de panser ses blessures, de se régénérer et de construire une cohérence intérieure. C’est en se réconciliant avec soi-même, que l’on peut réussir à se mobiliser. Il ne s’agit pas là d’une thérapie puisqu’il n’y a pas intervention d’un expert : c’est la personne qui se forme elle-même sur son passé en s’appuyant pour ce faire sur le groupe et sur la confiance qui s’est construite en son sein. Débarrassé des projets adaptés qui ne font qu’obéir aux exigences de celles et de ceux qui l’entourent, la personne peut alors construire un projet existentiel authentique basé sur une anticipation personnelle et bâti sur les valeurs cohérentes d’un désir dont elle connaît la genèse.
 
 

Un projet pour moi ou pour les autres ?

Sophie a participé au tour de table comme les autres stagiaires. Invitée à parler d’elle même elle a évoqué le projet qu’elle avait présenté au conseiller professionnel de l’ANPE : elle souhaite devenir secrétaire. Progressivement, dans les jours qui ont suivi son entrée en stage, elle a pris conscience qu’en formulant cette demande, elle s’était adapté aux repères dominants de son environnement, mais qu’en réalité, elle se sentait peu motivée par cet objectif. Elle ne pouvait en l’état, exprimer son désir secret, qui serait apparu peu réaliste. Mis en confiance par le groupe et libérée par l’absence de pression sur ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas, elle finit par exprimer son voeux de faire du théâtre. Son histoire de vie qu’elle accepta de livrer, révèlera qu’elle est d’origine gitane, que ses grands-parents tenaient un cirque et qu’elle vivait avec les gens du voyage jusqu’à ce qu’elle soit placée, lorsque ses parents sont morts subitement. Tout au long de  la formation, elle affinera son projet : créer un théâtre de marionnette. Sophie ne pourra réaliser cette intention, par manque de financement, mais elle trouvera néanmoins un emploi dans ce domaine. En créant une forme d’insécurité institutionnelle et en proposant à Sophie de s’emparer de l’espace-temps du stage, les conditions ont été créées pour provoquer chez elle une implication personnelle qui lui permettra de construire son propre projet qu’elle investira d’autant plus, que celui-ci correspond à ce qu’elle a de plus authentique en elle.
 
Rendre autonome les individus, c’est faire en sorte qu’ils s’engagent dans une démarche de projection. Cela implique pour l’éducateur ou le formateur, renoncer à sa position de pouvoir, pour devenir accoucheur de cette aptitude à concevoir son propre choix de vie et prendre son destin en main : telle est l’ambition de la pédagogie du projet. Une telle démarche a de quoi inspirer bien des formateurs et au-delà des travailleurs sociaux qui fondent leur intervention sur l’autonomisation des usagers.
 
 
L’autonomie dans la pédagogie du projet
Trop souvent l’autonomie est conçue comme la démarche de la personne qui fait ce qu’on veut d’elle sans qu’on ait besoin de le lui demander !
Jean Vassilef  explique que cette autonomie demande deux conditions et provoque un résultat. La première des conditions est extérieure à la personne : c’est la liberté, comprise comme le plein exercice de ses droits d’Homme et de Citoyen. La seconde condition au développement de l’autonomie est interne au sujet : c’est son authenticité. Il faut que ses choix et ses actes correspondent à ses valeurs propres et ne soient pas la simple résultante des déterminants qui l’entourent. Conséquence d’une liberté garantie et d’une authenticité réalisée : la responsabilité, résultante et dimension sociale que l’on assume d’autant mieux que l’on n’est pas dans une logique de soumission tant interne qu’externe.                                                                    
 
 
L’Institut de Pédagogie du Projet
La démarche de Pédagogie du Projet est née dans les années 80, de la recherche pédagogique menée par Jean Vassileff qui voulait sortir de l’impasse dans laquelle les méthodes utilisées amenaient les publics concernés. C’est en 1989, qu’il crée, avec un groupe de formateurs l’Institut de Pédagogie du Projet. Il se veut dans un premier temps un lieu de recherche et d’appui pédagogiques. Mais très vite, le besoin se fait sentir de concrétiser les concepts élaborés en les confrontant à la réalité. L’institut devient alors aussi, en 1991, centre de formation. Quand Jean Vassilef décède en 1996, c’est son épouse, qui avait participé à la fondation de la structure, qui devient directrice et continue avec ses autres collaborateurs l’action engagée. L’Institut ne se réfère à aucune école particulière. Ce qui fonde son action, c’est la profonde conviction de la nécessité de penser autrement l’être humain. Celui-ci est traditionnellement perçu à partir d’un angle de vue privilégié, qui pour être juste n’en est pas moins partiel. Ce qui fait de nous, ce que nous sommes, ce sont bien des facteurs tant psychologiques, que sociologiques ou biologiques, institutionnels et moraux... D’où le choix, pour mieux le comprendre, de partir de la globalité de l’individu. 
 

A lire : Jean Vassilef « La pédagogie du Projet en formation » (1991, 4ème édition) et « Histoire de vie et Pédagogie du Projet » (1992, 3ème édition) éditions Chronique Sociale.
 
Contact : Institut de Pédagogie du Projet 4 quai Hoche 44200 Nantes –Tél. :02 40 08 25 03 Fax : 02 40 48 46 49
 
 
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°599 ■ 29/11/2001