Foyer Ty Breiz - Nantes (44)

Comment accueillir en internat ?

Hier, l’accueil très rapide était pratiqué systématiquement. Aujourd’hui, ça devient l’exception. En effet, les travailleurs sociaux sont désormais partisans de donner le temps à la réflexion dans les admissions d’usagers. Illustration à travers l’exemple d’un établissement qui reçoit des adolescents.

Longtemps, les enfants et jeunes en difficulté ont été accueillis dans les établissements sans, le plus souvent, que ne soit engagée aucune étude préalable de leur situation. Ce qui primait alors, c’était l’urgence : la gravité de la situation impliquant une prise de distance d’avec le milieu familial, il fallait trouver une solution rapide. Ces pratiques ont fini par laisser insatisfaits nombre de professionnels qui n’y voyaient pas les conditions d’un accueil de qualité. Sans aucune connaissance exploratoire de l’enfant et de sa famille, les équipes devaient mener les investigations en même temps que l’admission et l’hébergement. Seul le besoin de protection était alors pris en compte au détriment de bien d’autres exigences au premier rang desquelles, on trouve la capacité à offrir une solution qui soit adaptée aux besoins de la situation. Cela aboutissait à des passages à l’acte destructeurs des mineurs tant envers les autres qu’envers eux-mêmes, sans que les équipes ne puissent décoder ce qui se passait. Les comportements de déstructuration ou d’explosion laissaient perplexes car il n’y avait pas d’éléments susceptibles de les interpréter.

Les pratiques ont depuis largement changé. Dans la plupart des établissements, pour chaque candidature, un dossier est demandé qui donne lieu à un premier examen au sein de l’équipe. Une rencontre préalable est ensuite organisée qui comporte divers entretiens tant avec les éducateurs qu’avec un psychologue ou même un psychiatre. L’idée est bien ici de faire de l’internat éducatif un outil opérant, qui puisse répondre aux besoins du jeune qui ne doit pas être un objet ni que l’on déplace, ni qui subit son sort, mais une personne qui puisse être associée à un projet conçu avec elle. Pour autant, il ne faudrait pas que cette démarche devienne un véritable parcours du combattant et que la procédure d’accueil ne s’identifie à des épreuves de sélection, concoctées surtout pour éviter les cas les plus complexes. Ainsi en va-t-il parfois, quand l’exigence d’une demande suffisamment élaborée de la part du jeune aboutit à une confusion entre intervention éducative et démarche thérapeutique. Chaque établissement se définit à partir d’un projet éducatif, et c’est à partir de ce schéma directeur qu’il doit pouvoir déterminer l’adéquation entre la candidature proposée pour un jeune et ce que peut lui offrir l’équipe. Pour éclaircir un peu ces pratiques sur le terrain, nous avons rencontré Roland Bataille, chef de service du foyer Ty Breiz (1), une structure pour adolescentes qui a ouvert en 1988, un service d’appartements (dit « Service Extérieur ») destiné à accueillir de jeunes majeurs (filles ou garçons).

Quinze logements sont proposés, dont douze en individuel et trois prévus pour deux locataires. Dès qu’une place est en voie de se libérer, une nouvelle candidature peut être étudiée. L’objectif qui est fixé, est bien de conduire le jeune à être acteur de sa démarche. Majeur ou à quelques mois de le devenir, il n’est plus possible de l’entretenir dans la logique de dépendance à l’adulte dans laquelle il a baigné des années durant. Il lui faut prendre conscience de ce qui est nécessaire et réalisable pour faire aboutir son projet de vie personnel. L’amener à élaborer sa demande, à construire son souhait de bénéficier d’une aide éducative et à donner du sens à ses perspectives d’avenir nécessitent qu’il souhaite faire évoluer sa situation. La procédure qui lui est alors proposée, est conçue autour de cette recherche de l’accession à l’autonomie. Et c’est d’abord à lui que s’adresse le protocole : première étape, il doit prendre rendez-vous avec le chef de service. Cet entretien a pour objectif de vérifier rapidement sa situation, de situer l’origine première de la sollicitation (qui se résume le plus souvent au conflit ou la rupture avec la famille d’origine) et à présenter les potentiels du service : ce que celui-ci peut offrir mais aussi ses limites. Il n’est pas question ici ni du psychologique, ni du scolaire, ni des éventuels actes de délinquance commis… Ce qui est abordé, c’est ce qui a amené le jeune à faire une demande de logement. « On ne sait jamais ce qui va ressortir de ce premier entretien, explique Roland Bataille. Il arrive parfois que le jeune craque et parle du viol qu’il a subi. Il m’est même arrivé, une fois, de recevoir l’aveu d’un jeune affirmant qu’il avait tué quelqu’un. » Il s’agit là d’un espace qui lui est proposé et qu’il est invité à investir. À lui, de préciser comment il veut être aidé : être hébergé, avoir de quoi vivre, apprendre les rudiments du logement autonome (comme réussir à faire la cuisine, par exemple), savoir comment s’y prendre pour éviter les ennuis, reprendre contact avec sa famille etc… Ce qui compte au cours de cet entretien, c’est avant tout, d’aboutir à ce que le jeune se (re) saisisse d’un intérêt pour sa vie. À l’issue de cette rencontre, il lui est demandé d’adresser une lettre de motivation. Son contenu doit tout simplement reprendre l’essentiel de l’échange avec le chef de service : quelles sont les difficultés que je rencontre et comment on peut m’aider à y remédier ? « Les jeunes savent trouver les moyens de rédiger cette lettre, y compris en se faisant aider, quand ils ont quelques hésitations face à l’écrit. C’est étonnant, ce ne sont pas les plus instruits qui réagissent le plus vite ! » Le service s’engage, dès réception de cette missive, à donner une réponse dans les 48 heures ou les 72 heures. Le candidat n’est pas recontacté (sauf cas très exceptionnels). Les permanences d’éducateurs s’étendant de 9h 00 à 22h 00, il y a donc toujours le moyen de joindre quelqu’un. L’utilisation du répondeur est limitée : il est important d’établir un contact en direct. Là encore, c’est au jeune de faire la démarche de rappeler.
On lui donne alors les coordonnées de la psychologue et des éducateurs qu’il doit contacter pour convenir d’un rendez-vous. La psychologue n’est pas tant là pour le jeune que pour éclairer l’équipe sur les difficultés qu’il peut rencontrer. Les éducateurs, quant à eux, abordent tous les aspects de la vie dont ils vont avoir besoin pour connaître le jeune et construire la relation ultérieure : histoire familiale, scolarité, santé, gestion financière, choix de l’appartement seul ou à deux, règles à respecter, modalités des relations avec le service etc… Cela peut prendre de 3 à 6 rencontres, selon la complexité de la situation. Deux principes président à tous ces entretiens : la ponctualité (tout rendez-vous où le jeune arrive en retard est remis à une autre date) et le vouvoiement (la référence est le monde du travail où un entretien d’embauche exclut le tutoiement). On peut se demander les résultats que peut avoir sur la demande, un cheminement qui apparaît si long et si exigeant. « Quand un jeune entre dans cette démarche, il va jusqu’au bout. Je n’ai pas souvenir d’un abandon en cours de route. C’est plutôt nous, qui, parfois, précisons au cours de la procédure que nous ne pensons pas pouvoir répondre à ce qui est attendu. Cela a été le cas, par exemple, de ce jeune qui nous a été adressé par ses parents parce qu’il fumait du cannabis. Les contacts ont permis de dédramatiser la situation. Elle n’a pas débouché sur un accueil. Cette forme d’admission participe à évacuer tout ce qui pourrait être dans le registre d’un placement de confort ou de l’ordre d’un simple différent parents/enfants. Avec pour conséquences, la prise en charge de jeunes en véritable difficulté, voire pour certains en très grande difficulté (les dits « incasables » représentant parfois 30 à 40 % de l’effectif » Ce qui est nécessaire parfois, c’est plus une écoute qu’une prise en charge en hébergement. D’où la réflexion qui a abouti à l’ouverture, en janvier 2001, d’un point d’écoute-jeunes susceptible d’apporter cette attention qui est recherchée plus que tout autre chose. La démarche d’autonomisation très prégnante avant l’accueil ne s’arrête pas à l’admission. La finalisation de la demande se poursuit après que le jeune ait intégré son logement. Guidé par un éducateur, c’est lui qui, au cours du premier mois, a la responsabilité de rédiger son propre projet individuel qu’il présentera à une tierce personne (le plus souvent un autre éducateur qui joue le rôle de candide). Ce qui est recherché, ce n’est pas que le jeune s’installe, mais puisse rebondir très vite en apprenant à se débrouiller tout seul. À peine est-il entré, qu’on lui demande dans quels délais il pense sortir du service extérieur. L’aide qui lui est apportée est ponctuelle. Elle doit aboutir à ce que le jeune ne soit plus dépendant et rentre le plus vite possible dans le dispositif ordinaire que fréquente le citoyen moyen. Pour cela, il faut l’encourager à se jeter à l’eau. C’est la concrétisation de l’éternelle quête des travailleurs sociaux à se rendre inutile ! Il n’y a aucun délai imposé pour un départ. Mais on cherche surtout à ce que le jeune trouve une solution à 20 ans, ce qui permet de conserver un filet de sécurité (les contrats jeunes majeurs signés par l’aide sociale à l’enfance vont jusqu’à 21 ans). Si, dans l’année qui suit, il fait appel à nouveau, il pourra trouver dans le service un relais de quelques mois lui permettant de faire le bilan des erreurs commises et d’en éviter la reproduction. La continuité au-delà des 21 ans n’est pas possible légalement. Son éventualité fait néanmoins partie des pistes de réflexion.

Les résultats de cette procédure ne se sont pas fait attendre. Alors qu’auparavant, le travail intervenait surtout sur l’événementiel, l’intervention peut avoir lieu sur le fond des difficultés.
Le Service Extérieur est passé d’une prise en charge moyenne de 12 à 16 mois à un séjour qui se limite à présent entre 7 et 8 mois. Le taux de rotation a été augmenté de 30 % environ. Certes, en dix ans, le nombre de demandes a presque doublé (passant de 34 en 1990 à 65 en 2000) alors que le nombre de suivis passait d’une moyenne de 24 (dans les cinq premières années de la décennie) à 32 (dans les cinq dernières). N’est-ce pas là une façon de répondre à plus de demandes avec les mêmes moyens ? Ce serait ne pas tenir compte de l’amélioration qualitative de l’intervention. Le travail de préparation et la demande du jeune placé comme pivot de la démarche provoquent une mobilisation bien plus efficace autour de solutions possibles. Du coup, le jeune reste moins longtemps tout en étant aussi bien préparé à devenir autonome. La réponse à donner au nombre croissant de demandes doit se situer à la fois dans l’augmentation des capacités globales d’accueil proposées dans le département (sur ce service ou sur un autre) mais à la fois aussi dans l’innovation et la recherche de nouvelles modalités (ce qui implique des capacités de remise en cause et d’adaptation). Autre questionnement : une telle procédure n’est-elle pas un obstacle à l’admission des situations les plus complexes ? Roland Bataille n’a pas le souvenir d’une seule demande qui aurait été refusée du fait des difficultés présentées. Depuis 1996, un seul jeune a dû être exclu de l’institution. À raison d’une trentaine de situations gérées chaque année, cela fait un taux d’échec très faible.


L’évolution des procédures d’accueil vient démontrer, s’il en était besoin, que l’internat n’est plus cette dernière solution trop longtemps utilisée en catastrophe, mais une option répondant à des indicateurs précis dont l’un des principaux est bien la place centrale accordée à l’usager.

 
(1) Contacts : Service Extérieur 106, rue des Châlatres - 44000 Nantes. Tél 02 40 74 95 58

  
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°607 ■ 31/01/2002