Animateur en fauteuil roulant - Nantes (44)

Comme sur des roulettes

Un animateur en fauteuil roulant peut-il s’occuper d’un groupe d’enfants valides ? Le sens commun fait douter de cette possibilité. Et pourtant …

Nous sommes au sixième et dernier jour d’un stage approfondissement Bafa. Les stagiaires sont invités par petit groupe à s’auto-évaluer, avant de recevoir  l’évaluation de leurs pairs et de connaître ensuite l’avis des formateurs. Vient le tour de Jean-François qui parle de ses difficultés à repérer ses limites. C’est Samuel qui, le premier, renvoie la façon dont il a perçu son alter ego : « j’ai vraiment été impressionné par ta pêche et ta joie de vivre. Toujours le premier à s’amuser et à entraîner le groupe. J’avais envie de te remercier pour tout ce que tu m’as apporté, ainsi que pour l’amitié que tu m’as accordée. » Dans le groupe, l’émotion est palpable. Pourtant, Jean-François reçoit cette marque de reconnaissance avec sérénité. Il reste égal à lui-même, tel qu’il l’a été tout au long de la session : spontané, naturel et authentique. Jean-François Archambeau n’est pas un animateur de centre de vacance et de loisirs ordinaire : il est en fauteuil roulant. Il a déjà passé brillamment l’étape du stage de base, puis celle du stage pratique, se faisant apprécier pour son dynamisme et la pertinence de ses réactions.

 

Le stage Bafa comme dans un fauteuil

Quand Bertrand Nesch, responsable du stage apprit que l’un de ses stagiaires était porteur de handicap physique, son premier réflexe fut de refuser de faire de différences. « Nous avons juste dû aménager des toilettes qui n’étaient pas adaptées, en enlevant une porte et en tendant un rideau. Logements, restauration, salles d’activité étant au rez-de-chaussée, nous avons aussi fait poser des plans inclinés pour permettre le franchissement des bordures en béton des chemins et des marches du perron menant à l’hébergement. Je souhaitais que l’environnement soit le moins handicapant possible. Pour le reste, j’ai estimé que ce stagiaire allait devoir se débrouiller comme les autres. » Jean-François Archambeau arriva au stage avec sa propre voiture. Bertrand Nesch l’accueillit, en lui souhaitant la bienvenue et en lui demandant s’il voulait une aide pour sortir son fauteuil. Le jeune stagiaire accepta. Là, s’arrêta la sollicitation du responsable. Par la suite, Jean-François Archambeau assura ses déplacements de façon autonome. Les rares fois où il fallut monter à l’étage, quatre autres stagiaires se chargèrent de le porter dans son fauteuil. Celles et ceux qui le poussèrent le firent à sa demande ou spontanément, comme une marque d’attention et non par pitié. Pour la plupart des autres stagiaires, ce fut le premier contact avec le handicap physique. Ils furent très vite subjugués par le caractère enjoué, l’enthousiasme, la sociabilité de Jean-François Archambeau. Si le charme put agir avec tant de force, c’est en grande partie grâce à une personnalité qui faisait presque oublier la déficience et sa conséquence, la mobilité réduite. Ce jeune lycéen de terminale STT a toujours suivi une scolarité ordinaire et se destine aux métiers des ressources humaines. Sa situation, il l’assume complètement, acceptant son handicap, mais refusant de s’y résigner, « je ne supporte pas ceux qui affirment ne pas pouvoir faire quelque chose à cause de leur handicap » explique-t-il. Habitué depuis qu’il est tout jeune à animer des jeux ou des soirées avec ses copains, il se tourne naturellement vers l’animation. Quand il envoie son dossier d’inscription Bafa aux Francas, il précise sa situation. Tout naturellement, la fédération d’éducation populaire lui propose une session dans un lieu où les locaux d’hébergement et les salles de formation sont de plein pied. Tout s’y passa bien : « personne n’a vraiment fait attention à mon handicap » constate, comblé, Jean-François Archambeau.

 

Animateur avec des enfants valides

Pour son stage pratique, il décida de se déplacer pour remettre son CV et sa lettre de motivation, en main propre. Beaucoup de structures accueillirent sa demande avec bienveillance. D’autres se montrèrent plus gênées. C’était, pour lui, un test : il renonça à aller plus loin avec celles qui s’étaient montrées hésitantes. Erik Bouzidi, Directeur de l’office socioculturel de Montoir de Bretagne, fut l’un de ceux qui le reçurent. Son souci n’était pas tant le handicap du candidat qui se présentait à lui, mais la question de ses capacités à assurer le travail d’animateur auquel il postulait. L’entretien fut l’occasion de questions très franches : que pouvait-il assurer face à un groupe d’enfants ? Pouvait-il les prendre en charge d’une manière autonome ? Pouvait-il assurer leur sécurité matérielle et affective ? Comment ferait-il pour leur faire traverser la rue ? … les soigner s’ils s’écorchaient un genou ? … les accompagner à la cantine ou aux activités extérieures ? Jean-François Archambeau ne se démonta pas, répondant précisément sur ce qu’il pensait pouvoir effectuer et ce qu’il ne pourrait pas assurer. Il avait l’intention de répondre aux éventuelles questions des enfants sur son handicap, mais pas de mettre d’emblée en avant sa situation. Il voulait avant tout apparaître comme un animateur. Honnêtement, il s’ouvrit sur ses interrogations quant à sa capacité à affirmer son autorité : réussirait-il à faire face à des enfants qui, refusant de respecter ses consignes, se mettraient à courir dans tous les sens ? Erik Bouzidi le reconnaît : ce n’est pas sans une certaine appréhension qu’il recruta finalement cet animateur atypique. Au final, « les inconvénients supposés ont eu des conséquences tout à fait mineures, en comparaison des avantages constatés » explique-t-il. Quand il s’agissait de traverser la route, les enfants avaient le souci de leur animateur, intégrant ainsi les règles de sécurité avec d’autant plus d’efficacité. Quand il s’est agi d’aller à la plage, une réflexion a eu lieu, pour trouver une solution. Les enfants qui mangèrent à sa table se montrèrent plus calmes et plus respectueux. Du côté des parents, ce fut d’abord la surprise. Des questions ont fusé : « c’est lui qui va s’occuper de nos enfants ? », « qu’est-ce qu’il a comme maladie ? ». Et puis, très rapidement, Jean-François Archambeau n’a plus été reconnu que pour ses qualités d’animateur. Les enfants ont eux aussi posé des questions : « comment ça t’est arrivé ? », « quand tu tombes, est-ce que tu as mal aux jambes ? » et puis … « est-ce que je peux te pousser ? ». Le fauteuil roulant a même été le moteur d’un jeu, transformé en locomotive d’un train humain. Avoir un animateur porteur d’une handicap physique s’est avéré donc une chance, confirme Erik Bouzidi : « non seulement, Jean François a montré une sensibilité particulière et un sens de l’écoute qui lui ont permis d’anticiper sur les problèmes que les enfants pouvaient avoir, mais il a été l’un des animateurs les plus écoutés et les plus respectés. D’ailleurs, je le fais à nouveau travailler en juillet »… De cette expérience, Jean-François Archambeau tire une grande satisfaction personnelle et la confirmation de la justesse de sa façon d’agir. Ce n’est pas tant la déficience qui doit entrer en ligne de compte que les compétences de la personne. C’est quand on pense qu’il va y avoir des problèmes que les vraies difficultés surgissent. Il a démontré non pas en théorie mais en pratique que le handicap physique n’est pas contradictoire avec l’animation d’un groupe d’enfants valides. Mais sa vraie victoire c’est d’avoir réussi à faire oublier son handicap relégué derrière sa personnalité… comme le démontre l’anecdote cocasse rapportée par Bertrand Nesch : croisant un groupe de stagiaire, il leur lance : « ça roule, les jeunes », juste avant de s’apercevoir de la présence du fauteuil roulant. Jean-François Archambeau ne se démonta pas et lui répondit : « c’est le cas de le dire ! »

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°819 ■ 30/11/2006