Croisière Pen-Bron

15ème édition

Samedi 20 juin 1998 : pour la quinzième année consécutive, les skippers se retrouvent dans la salle de spectacle du Centre de Réadaptation Fonctionnelle de Pen Bron. Au tout début de cette aventure, ils étaient une quinzaine. A l ‘initiative du directeur de l’établissement, le Docteur Moutet, ils avaient accepté d’embarquer à leur bord pour une croisière de 48 heures les enfants, les adolescents et adultes hospitalisés. Rencontre improbable du monde des valides et de celui du handicap physique et parfois mental ! Pourtant ces propriétaires de bateaux, amoureux de la plaisance et amateurs de régates, accueillant à leur bord des êtres cassés, mutilés et limités dans leur mouvement et leur autonomie,  ils sont nombreux à être revenus après y avoir goûté. Fidèles à ce rendez-vous, et enthousiastes, ils répondent de plus en plus nombreux chaque année pour voguer cote à cote avec des matelots que rien ne destinait à rejoindre leur équipage. Aujourd’hui la flottille est devenue armada : 130 bateaux encadrés  à terre comme en mer par 800 bénévoles ont pris à leur bord 200 personnes handicapées. Certaines d’entre elles voient la fin de leur séjour : 1 an ou plus passé en rééducation après un grave accident. D’autres, atteint d’une infirmité motrice cérébrale ou d’un polyhandicap vivent depuis bien plus longtemps à Pen Bron. Les pompiers mobilisés pour l’opération utilisent les barges plates des ostréiculteurs pour assurer la navette entre les quais et les embarcations amarrés aux corps morts. Des mains expertes pour monter à bord certains malades : il faudra parfois six hommes pour assurer le transfert en toute sécurité. La personne handicapée troque alors son fauteuil pour un accompagnateur qui va la suivre tout au long des deux jours et assurer son confort.

Le soleil est chaud, le vent favorable, de quoi lever l’ancre. Et c’est la sensation inoubliable de la navigation, première occasion pour certains de tester s’ils ont le pied marin. Attention au mal de mer malgré la Nautamine  prévue par les organisateurs ! Attention aux coups de soleil malgré la crème protectrice distribuée avec les pique-niques avant l’embarquement ! La croisière part du Croisic, petit port de pêche dans le prolongement de l’estuaire de la Loire. Elle doit rejoindre Arzal dans l’embouchure de la Vilaine. Quatre heures suffisent à franchir les quelques miles de distance. Puis c’est l’épisode épique du passage de l’écluse. Quelques dizaines de bateau se serrent les uns contre les autres : voiliers en bois, en inox, vieux gréements, hors-bord, bateaux de pêcheurs … Un skipper sort son cor de chasse et entonne un solo, bientôt rejoint par un compère violoniste. Enfin, les portes s’ouvrent. Vient alors l’accostage dans le port de plaisance. Puis, c’est la navette incessante des fauteuils sur l’étroit ponton. Mais la fête n’est pas finie. Pour tout dire elle ne fait que commencer. Près de mille personnes se retrouvent sous un gigantesque chapiteau pour un plantureux repas dominé par des sardines à volonté grillées à point. La nuit la plus courte de l’année (pour le calendrier, mais aussi pour nombre de participants)  commence par un bal où virevoltent les fauteuils roulants et les valides, avant de continuer par un gigantesque feu de joie (fête de la Saint-Jean oblige !). Le coucher est assuré tant à bord pour ceux qui le désirent que dans un village-vacances tout proche. Dimanche 21 juin, réveil échelonné et parfois un peu laborieux ; c’est la route du retour avec pique-nique sur une île déserte.

Quand on interroge les skippers sur ce qui les amène à s’engager dans la croisière Pen Bron, ils vous parlent de l’intense plaisir qu’ils ressentent à faire partager leur passion, mais aussi à l’enrichissement que représente pour eux cette expérience d’être ainsi confrontés à des personnes handicapées qu’ils n’ont que rarement l’occasion de côtoyer le reste de l’année. Une joie partagée : celles et ceux qui, hospitalisés, participent pour la première fois ou sont des habitués savent l’exprimer : “ peu importe le handicap, on est mélangés, tous logés à la même enseigne. Et puis c’est formidable de se retrouver tous ensemble comme ça avec des gens qu’on ne connaît pas ” explique Laëtitia. Un enthousiasme que sait exprimer à sa façon Hervé : atteint d’une tétraplégie et privé de la parole,  il fait passer dans son regard et dans son visage épanoui et heureux, le bonheur qu’il vient de vivre. Moussa, quant à lui, arrivé à Arzal n’aura eu de cesse que de trouver une aire de baignade. Boitant à terre en se déhanchant, il rejoindra la plage la plus proche et ne tardera pas à se débarrasser de la prothèse qui lui remplace la jambe droite pour se glisser dans l’eau et s’y ébattre avec une aisance à rendre jaloux bien des nageurs valides.

La croisière de Pen Bron, expérience originale et unique en France et en Europe a été reconnue par la Commission Européenne dans le programme “ Sport With Disabilitie ” comme une action pilote de réadaptation et de réinsertion et souhaite encourager l’organisation d’autres croisières de ce type dans d’autres pays de la communauté. Déjà des bateaux danois et irlandais s’étaient déplacé pour l’occasion.

Le handicap a pu être dépassé, et que l’on soit valide ou non, on ressort de cette croisière différent de comment on y est entré. C’est la plus belle leçon que l’on puisse en tirer en attendant la 16 ème édition pour la dernière année du second millénaire.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°451 ■ 23/07/1998

 

Contacts : Docteur Moutet, Centre de Réadaptation Fonctionnelle de Pen Bron 44420 La Turballe Tél. : 02 40 62  75 00 - Fax : 02 40 62 76 27