Au clair de la rue
On parle souvent des SDF avec pitié et commisération. La chorale qu’ils ont formée à Nantes montre qu’ils peuvent tout autant provoquer du bonheur et de l’admiration.
En ce samedi 4 juin, la place Royale à Nantes est le lieu choisi par Amnesty International pour fêter les 50 ans de sa création, en 1961. Parmi les groupes de musique, venus fêter gratuitement l’évènement, il en est un qui a particulièrement marqué la journée. C’est vers 13h00, qu’au milieu des calicots, des grilles d’exposition et des stands, se regroupe un ensemble hétéroclite. Les visages sont marqués par les épreuves de la vie. La démarche est hésitante, quand il s’agit de se placer. La voix n’est pas toujours bien juste, le tempo pas forcément respecté. Mais peu importe. Lorsque la quinzaine de choristes du groupe « Au clair de la rue » se lance dans son récital, il émane d’eux une force et une humanité que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. En grande précarité pour la plupart, ils ont connu la rue mais vivent aujourd’hui en foyer ou en logement social. Pour certains, l’alcool traverse encore leur existence. Il vaut mieux les faire se produire en milieu de journée, qu’en fin. Et pourtant, chanter est devenu leur bouffée d’oxygène. Eux, qui se donnent parfois en spectacle, présentent un spectacle émouvant et intense. Leur répertoire plonge dans la chanson traditionnelle et populaire. Dans leur bouche, certaines paroles prennent une résonance particulière. Chanter « Mais les brav's gens n'aiment pas que / L'on suive une autre route qu'eux » du célèbre hymne à la tolérance de Georges Brassens « La mauvaise réputation » ou reprendre « Il me semble que la misère / Serait moins pénible au soleil », le refrain d’« Emmenez-moi » de Charles Aznavour n’est pas pour eux, anodin. Ils savent de quoi ils parlent.Une chorale peu ordinaire
Serge, surnommé « Le Gaulois » pour la magnifique moustache qu’il arbore, a vécu six ans, sous un arbre près de la gare de Nantes. Quand la municipalité a du couper son point de repère, il a été relogé dans un logement social. Mais, il a continué à fréquenter ses compagnons de la rue. Le jour où il a enterré trois de ses copains décédés, au petit matin, dans le carré des indigents, il en est ressorti révolté. Funérailles à la va vite, comme on ne le ferait même pas avec son chien, sans même un chant. Sa rencontre avec Yannick Jollivet, ingénieur retraité, bénévole de l'association « Vérité et misère » est décisive. Tous les deux vont commencer par accompagner les obsèques des morts de la rue. Très vite, ils sont rejoints par d’autres personnes en grande précarité. De là, à imaginer la création d’une chorale, il n’y avait qu’un pas, vite franchi. Chorale improbable qui chante parfois faux, mais qui sonne toujours juste. Son ambition ? Rendre leur dignité à des personnes en grande difficulté. Et puis, la pratique du chant incite à se prendre en charge et à se plier au minimum de discipline qu’imposent les répétitions et les représentations. C’est tous les mardis qu’ils se retrouvent salle Coligny, sous le temple protestant de la place Edouard-Normand, pour répéter. Ils se réunissent entre 13h00 et 14h00, avec comme consigne : la ponctualité et la sobriété. Depuis avril 2006, le début de leur aventure, que de chemin parcouru.La notoriété
Une émission radiophonique leur a été consacrée (Interception sur France Inter), puis un film documentaire de 52 minutes, réalisé par François Bontemps. Des interviews, des reportages au journal télévisé, des articles dans les quotidiens… la chorale a même eu l’honneur du canard Enchaîné ! Et puis, il y a eu l’invitation au parlement européen de Bruxelles, les 27 et 28 janvier 2011. C’est Sylvie Goulard, député Modem qui leur a demandé de venir témoigner dans le cadre de l’« Agora sur la crise et la pauvreté ». Face à face étonnant entre deux mondes destinés à ne jamais se rencontrer : d’un côté, les parlementaires et fonctionnaires bien éloignés de l’univers de la rue et de l’autre, ces hommes et ces femmes marqués par leur vie de galère. Il a fallu fournir des cartes nationales d’identité à celles et à ceux qui en étaient, pour la plupart, dépourvus. La préfecture de Nantes s’en est chargée. L’épisode du passage sous le portique de sécurité est des plus cocasse : les membres du groupe refusant d’abandonner définitivement leurs couteaux, ceux-ci furent entreposés dans les coffres-forts, avant de leur être restitués, à leur sortie. A l’issue de la représentation, la chorale ayant réussi à entraîner les parlementaires dans un chant de marin endiablé, Hilary Blume fit remarquer l’indécence qu’il pouvait y avoir à dépenser des milliers d’Euros en champagne et petits fours pour le buffet et le spectacle offert gracieusement par « Au clair de la rue ». Une collecte rapporta 400 €.Essaimer
Mais, le but poursuivi par la chorale n’est pas de gagner de l’argent. Elle assure, chaque année, une vingtaine de prestations, demandant simplement le remboursement de ses frais de déplacement. Yannick et Serge sont devenus au fil des années de vrais complices. Ils vont à la rencontre des personnes à la rue, pour les convaincre de les rejoindre. Devant l’afflux de bénévoles, une règle a été fixée : si on ne l’est pas soi-même, on doit convaincre deux personnes en difficulté de vous accompagner pour y être admis. Le désir le plus cher de Yannick est bien de voir sa chorale être imitée un peu partout en France : que partout, naissent des chœurs de sans abris.Contact : 06 72 32 91 04 / Courriel : yannick.jollivet@gmail.com
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1022 ■ 16/06/2011