A la mémoire de Cyril
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dans Articles III
Frédéric Aupérin, 47 ans, responsable de Vagabondage, une structure organisant des séjours de rupture à l’étranger, a été reconnu coupable d'actes de torture, de barbarie et de violence volontaire sur personne particulièrement vulnérable : il a été condamné, par la Cour d’assises de Quimper, à 9 ans de réclusion. Son directeur, Robert Antraygues, 68 ans, reconnu coupable d'homicide involontaire, a été condamné à une peine de trois ans de prison dont un an avec sursis. Vagabondage devra verser 150.000 € d'amende et se voit interdire définitivement d'exercer auprès des mineurs.
L’affaire est sordide. On pense au poème de Jacques Prévert relatant la mutinerie d'août 1934, dans la Colonie pénitentiaire de Belle île en mer : « Il avait dit j'en ai assez de la maison de redressement / Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents / Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment ». On pensait que cela relevait d’un autre temps. On se trompait. Cyril avait quinze ans. Confié en 2003, par le Conseil général du Finistère, pour accomplir un voyage en Zambie, il y a subi les pires sévices. Retrouvé après une fugue, il est tabassé par Frédéric Aupérin, qui n’avait comme seule expérience que celle d’ancien caporal d’un régiment d’infanterie de marine et comme seul diplôme, celui de culturiste. Les autres jeunes sont incités à se joindre au passage à tabac. L’adolescent est attaché les mains dans le dos reliées à ses jambes repliées, dénudé et attaché à un poteau dans l’enclos aux cochons. Cyril finira pas succomber à ce régime disciplinaire : il était épileptique. Ceux qui ont survécu racontent : les réveils avec un seau d’eau glacée dans la figure, les insultes, la torture de la tente : « Enfermés pendant trois jours, les pieds et les mains attachés, nus, avec un sac-poubelle en guise de slip. Obligés de se chier dessus, de se pisser dessus. »
On arrête là. Inutile d’en rajouter dans ces descriptions dignes de la pire des barbaries. Vagabondage n’ignorait pas les pratiques de son salarié qui avait volontairement été recruté non sur des compétences éducatives, mais sur son « expérience de vie ». La justice a tranché et si nous avons quelques regrets à exprimer, ce n’est pas sur les peines prononcées, mais sur la mort d’un enfant qui aurait du être protégé et sur ce qu’ont connu les survivants qui, au-delà de leur condamnation à des peines de prison avec sursis, pour complicité, resteront marqués toute leur existence, par ce vécu terrifiant. Ces actes sont aux antipodes de ce que souhaite tout éducateur, quand il exerce ce métier. Nicole Myrek, Présidente de OSER, l’association fédérant un certain nombre d’organisateurs de séjours de rupture, réagit brutalement : « quelle horreur ! Plus jamais cela. Ce drame est un scandale insupportable. Ce qui s’est passé est exactement le contraire de ce que nous faisons. Notre souci est de professionnaliser nos équipes. Nous ne laissons jamais partir un salarié, sans qu’il ait suivi une formation préalable, même en sortant d’une école d’éducateurs. Il est grand temps de concevoir un filet de sécurité qui puisse fournir un certain nombre de garanties. OSER a travaillé à un cahier des charges qui propose un étayage. Nous en appelons aux pouvoirs publics, pour qu’ils prescrivent, par voie de circulaire ou de décret, des règles qui s’imposent à tous. Nous revendiquons d’être soumis aux lois de 2002 rénovant l’action sociale et de 2007 réformant la protection de l’enfance. » L’officialisation de cette réglementation, qui s’applique aujourd’hui officieusement, est le minimum que l’on doive à Cyril. Cela rassurerait, en outre, les autorités de tutelle. Aux assises, les avocats de la défense ont reproché au Conseil général du Finistère, de n’avoir pas effectué de contrôle. C’est un peu comme si l’usager du gaz faisant sauter son logement après avoir ouvert ses robinets d’alimentation, reprochait au fournisseur de n’être pas venu lui dire que cela pouvait être dangereux ! Tout l’honneur de cette administration est d’avoir fait le choix de continuer, malgré tout, à faire confiance aux séjours de rupture et de travailler plus particulièrement avec deux d’entre eux qu’il continue à agréer sur son territoire (Ribinad et le DAD). Une branche pourrie ne saurait cacher la forêt qui pousse.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°989 ■ 14/10/2010