Comment réformer?

La dissolution du Parlement et la composition qui est sortie des urnes augurent mal des évolutions attendues en protection de l’enfance. Quoi que voudra engager l’un des trois blocs de la nouvelle assemblée, composée chacun de plus ou moins un tiers des députés, il risque d’être censuré par les deux autres. Un consensus pourrait-il être trouvé entre les partisans des coupures budgétaires à coup de dizaines de milliards et les défenseurs des services publics ou entre les partisans de l’expulsion des mineurs non accompagnés et les promoteurs de leur accompagnement ? Ce serait bien étonnant. Quant à la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance, elle a clos ses travaux, à peine les avait-elle commencés. Leur reprise est toujours possible, dépendant des priorités que se donneront les député(e)s.

Une question se pose : faut-il aujourd’hui s’engager dans une nouvelle réforme : après celles de 2007, 2016 et 2022, faut-il en rajouter une quatrième ? Ne faudrait-il pas plutôt commencer par appliquer les précédentes ? Par se donner les moyens financiers et humains de les concrétiser sur le terrain ? Par se rapprocher bien plus des professionnels qui mettent en œuvre la protection de l’enfance au quotidien, dont le législateur semble si éloigné ?

Quelles sont les valeurs cardinales qui devraient inspirer un nouveau texte législatif, si celui-ci devait être envisagé ? J’en proposerai trois. Bien d’autres seraient sans doute à mettre en avant. Mais commençons d’abord par ces trois-là.

L’audace tout d’abord. Il en faut pour croire en l’enfant, à son avenir et à sa résilience, même quand tout semble aller de mal en pis. Toute réforme devrait s’imprégner de cette hardiesse qui fait aller de l’avant et imaginer le meilleur, qui ne lésine pas sur les moyens pour réussir et cherche à répondre aux enjeux, qui refuse de baisser les bras devant les obstacles et s’engage pour les dépasser.

L’humilité ensuite. « Il n’est de pire tyrannie que de vouloir le bonheur d’autrui », affirmait Emmanuel Kant. Pour ne pas plier sous cette malédiction, il faut avancer en respectant le rythme des publics, tantôt devant en les entrainant, tantôt derrière pour les pousser, et le plus souvent à leurs côtés pour cheminer de concert. Toute réforme se doit d’accompagner la réalité de la protection de l’enfance, en partant de là où elle en est. Parfois en la précédant pour contourner les inévitables résistances. Mais aussi en se positionner dans son dos pour l’encourager à progresser. Sans oublier de s’appuyer sur tout le potentiel qu’elle détient et ce qu’elle met en œuvre au quotidien.

L’écoute enfin. Rien ne peut évoluer positivement sans entendre les uns et les autres dans ce montrent et ont à dire ; sans prendre en compte leurs représentations, leurs appréhensions et leurs espoirs ; sans être attentifs à leurs vécus, leurs expériences et leurs pratiques. Toute réforme doit se garder de se soumettre à une idéologie, quelle qu’elle soit, une vérité révélée ou une conviction apparemment partagée. Elle doit s’ouvrir sur l’ensemble des possibles, dialoguer, échanger, avant de trancher pour être sûr non de faire bien, mais le moins mal.

Le lecteur aura sans doute identifié des postures professionnelles de terrain que je transfère à la stratégie politique. J’ai longtemps cultivé les premières et suis novice dans la dernière. Pas sûr donc que cela fonctionne. Mais, c’est surtout cela que je sais faire !