Pourquoi certains pauvres sont jaloux des plus pauvres qu’eux?

Il est de ces arguments rhétoriques de l’extrême droite qui, repris à l’envi au sein de milieux populaires, peuvent trouver des explications, du moins si on fait l’effort de les chercher. L’une de ces rengaines les plus courantes se focalise sur les plus démunis considérés comme des profiteurs et des

Ainsi en va-t-il du cumul entre le RSA, les allocations familiales, l’APL et autres aides diverses et variées qui atteindraient des montants présentés comme des plus choquants, car dépassant le montant des plus bas salaires

Ainsi en va-t-il de l'allocation de solidarité aux personnes âgées dédiée aux retraités bénéficiant de bas revenus n’ayant jamais travaillé, qui dépasserait dans certains cas la retraite perçue après toute une carrière de cotisations salariales.

Ainsi en va-t-il de l’allocation de rentrée scolaire qui, bien sûr, servirait à financer des téléviseurs à écran plat, plutôt que les études des enfants.

Plusieurs registres permettent de décoder ces réflexions.

Le premier d’entre eux renvoie à la valorisation de la réussite individuelle menant à la richesse, par le mérite de celui (ou celle) qui a travaillé pour y parvenir, versus la pauvreté de ces « cas soc’ » qui sont bien entendu des fainéants, des assistés profitant des allocations pour ne pas aller travailler. Commençons d’abord par démonter un mythe : la richesse s’acquiert d’abord par héritage, celle qui s’obtient à la sueur de son front étant marginale. Ce ne sont pas les efforts qui permettent de vivre, mais la naissance. Rappelons ensuite, que les dispositifs de redistribution permettent de réduire dans notre pays le nombre de personnes pauvres de 13,5 à 9,1 millions de personnes (soit 14, 5% de la population au lieu de 21,4 %). Promouvoir le mérite passe-t-il par une remontée de cette proportion de ménages pauvres ?

Le second registre s’intéresse à la fraude de celles et ceux qui cumulent des aides en trichant. Oui, il y a des tricheurs parmi les plus pauvres. Cela coûte même à la nation près d’un milliard d’euros par an. Mais cette fraude est proportionnellement infiniment moins importante que celle qui a lieu dans les couches les plus aisées de la population. Ainsi, celle qui concerne les cotisations sociales et la fiscalité, se monte respectivement à plus de 87 et 100 milliards !

Le troisième registre prétend que percevoir des allocations sociales serait plus avantageux que de gagner le SMIC. La trop grande générosité des allocations sociales inciterait donc les plus pauvres à se pavaner dans l’oisiveté plutôt que d’aller travailler. Les études de la DRESS contredisent cette idée reçue, calculant un écart de 47 % dans le niveau de vie d’une personne seule sans enfant recevant le RSA, par rapport à cette même personne au Smic et de 20% quand cette dernière reçoit un demi-Smic. Pour ce qui est d’un couple au RSA avec trois enfants, le delta tombe à 27 % (du fait des allocations familiales) par rapport à ce même couple travaillant l’un et l’autre au SMIC.

A ce stade de notre raisonnement, il semble intéressant de se poser la question : pourquoi la haine des plus pauvres l’emporte-t-elle sur la haine des bien plus riches ? Pourquoi préférer le flétrissement des plus démunis plutôt que la solidarité à leur égard ? Pourquoi s’en prendre aux rmistes, plutôt que de lutter pour une meilleure rémunération des salariés ?

Une piste peut, sans doute, permettre de comprendre ce paradoxe, au-delà du mécanisme du bouc-émissaire (qui permet de désigner un fautif responsable de tous les maux) : c’est l’appréhension du déclassement social. Cette notion sociologique désigne la peur d’être happé par le statut qui se trouve juste en dessous de soi ; d’être confronté aux mécanismes de mobilité négative et de fluidité régressive dans l’échelle de prestige (ou de désirabilité) des situations sociales ; de vivre une dégradation faisant descendre d’un cran l’échelle hiérarchique. La hantise face à ce risque se transforme en haine de ce que l’on ne veut pas devenir. Tout faire pour ne pas ressembler à ces représentations stigmatisantes des plus pauvres, ne pas être assimilé à ces images fustigées par la société, ne pas être confondu avec ce qui est le moins bien considéré. Un peu comme lorsqu’on escalade une paroi abrupte, a-t-on sans doute plus peur de dégringoler que de se hisser plus haut. Tenir compte de cette crainte est important pour réagir face à ce curieux paradoxe que soulignait le sénateur de Loire-Atlantique Yannick Vaugrenard « nous vivons curieusement dans un monde où ceux qui gagnent plus de 20.000 euros par mois persuadent ceux qui en gagnent 1.800, que tout va mal, à cause de ceux qui vivent avec 537 euros ».