Je ne veux voir qu’une seule tête!
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dans Billets d'humeur
Une centaine d’établissements scolaires va expérimenter le port de l’uniforme en cette rentrée scolaire 2024. Après évaluation, cette tenue commune pourrait être généralisée en 2026.
Bonne ou mauvaise idée ? Regardons de plus près les justificatifs avancés par l’Education nationale. Ce qui est annoncé, c’est le renforcement de la cohésion entre les élèves par la création d’un sentiment d’égalité, d’appartenance et d’unité. Mais aussi la promotion d’un climat scolaire de qualité, en suscitant une atmosphère de travail.
L’uniforme serait donc d’abord, soi-disant, une garantie d’égalité. N’y-a-t-il pas une certaine naïveté à croire que le même accoutrement sera porté par toutes et tous ? Ce serait sans compter sur son degré d’usure et son rythme de remplacement, son repassage ou sa propreté devenant des plus apparents quand les familles auront les moyens de le renouveler tous les jours. En outre, si la distinction sociale peut prendre bien des formes, le vêtement en particulier, elle peut se déplacer sur bien d’autres attributs : les chaussures, une coiffure, des bijoux apparents, une montre onéreuse, un Iphone dernier cri. Et puis, par-dessus l’uniforme, il faudra bien revêtir un imperméable quand il pleut ou un vêtement chaud quand il fait froid. Faudra-t-il aussi uniformiser toutes ces autres tenues ?
Puis, vient l’argument de la cohérence de groupe. Aujourd’hui, les élèves souffrent-ils d’un manque ou, au contraire, d’un trop plein d’identités, pour que le besoin apparaisse d’amplifier leur sentiment d’appartenance ? Notre société s’est tellement félicitée des affrontements de bandes rivales issues de quartiers voisins de la même ville, au point de vouloir encourager les antagonismes entre établissements concurrents ? La référence à un style vestimentaire est remplacée par la référence à un établissement. Qu’y gagne-t-on vraiment, sinon renforcer la ferveur pour son école qui sera toujours la meilleure par rapport aux autres ? La ballade de Brassens se moquant des « imbéciles heureux qui sont nés quelques part » pourra être chantée sur l’air des « élèves heureux qui sont scolarisé quelques part »… Paraphrasant l’ami Georges, on pourrait dire « C’est vrai qu’ils sont plaisant tous établissements / ils n’ont qu’un point faible, c’est d’être habités / Et c’est d’être habités par des gens qui regardent le reste avec mépris »
Enfin, dernier argument, cet uniforme serait propice à une ambiance de travail. Ce qui sous-entend que les élèves, débarrassés de soucis perturbateurs liés à la mode vestimentaire, aux jalousies et à la concurrence du port du plus beau vêtement, pourraient se consacrer à la seule compétition qui vaille : obtenir les meilleures notes, obtenir les places les plus prestigieuses, exceller dans le travail scolaire. Comment dire cela d’une façon pas trop stigmatisante ? Est-ce de l’ingénuité, de la crédulité ou de la pure bêtise que de croire à une telle fable ? Je m’interroge encore !
Il est une réforme qui a été appliquée en plusieurs endroits avec succès : la fermeture de collèges concentrant, dans certains quartiers relégués, un fort taux d’échec scolaire et la scolarisation de leurs élèves dans des établissements de centre-ville bien plus favorisés. Cette mixité sociale a porté ses fruits. Mais, elle contrevient au principe élitiste qui prévaut, comme le véritable ADN de notre école. Cette réforme, loin de s’étendre, stagne. Il vaut mieux aujourd’hui faire prévaloir l’autorité et l’ordre comme solutions pour mettre au pas une jeunesse pas assez disciplinée … en commençant par le port de l’uniforme.