La surprise du chef

Comment peut-on, en tant que parent, grand frère et sœur, parrain et marraine, oncle et tante… ou professionnel de l’enfance, faire autrement que d’encourager les jeunes générations à se mobiliser et s’investir à l’école pour obtenir des résultats permettant de réussir à choisir plus tard le métier exercé à l’âge adulte. Certes, les ambitions de devenir footballeur professionnel ou spationaute, après avoir admiré telle ou telle vedette du ballon rond ou Thomas Pesquet sont rarement atteignables. Et puis il y a ce système scolaire élitiste qui sélectionne par l’argent celles et ceux dont le milieu familial peut financer une longue carrière d’étudiant(e). Mais bon, on reste néanmoins avec ce discours éculé mais incontournable de la nécessité de devoir bien travailler à l’école !

Il me revient néanmoins trois exceptions qui sont venues contredire mes certitudes fortement ancrées, quant à l’importance de l’investissement des études. Mathieu et Rachid tout d’abord, l’un décrocheur d’une classe de la classe de 3ème, l’autre d’une 4ème dans une maison familiale rurale. Les deux adolescents étaient bien décidés à attendre au chaud leurs 18 ans pour trouver du travail ! Je ne cessai de leur prédire un avenir compromis, s’il restait déscolarisé. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre, quelques années plus tard, qu’ils étaient parfaitement intégrés, en couple, avec un travail qui leur convenait parfaitement.

Mais la situation la plus contre-intuitive est encore celle de Thomas qui a récemment repris contact avec moi, souhaitant retrouver son ancien éducateur. L’enfant avait donné des signes de décrochage, dès l’école primaire. Il fit les deux premiers mois de sa classe de 6ème, avant de décider qu’il n’irait plus au collège. Tout fut tenté avec sa mère pour le convaincre, le contraindre et le mobiliser. En vain ! Je ne cessai, là aussi, de le mettre en garde sur ce qu’il allait devenir à l’âge adulte. J’étais partagé entre la précaution de ne pas aggraver ses angoisses (c’était suffisamment difficile pour lui de vivre en marge de son groupe de pairs et sous la pression des adultes) et la tentation de le bousculer (pour le faire réagir) ! Je l’avais laissé stagnant, au moment de mon départ en retraite. Désespéré, j’entrevoyais avec inquiétude son devenir de jeune adulte. Il symbolisait pour moi un échec flagrant et une impuissance humiliante. Ce qu’il advint reste improbable. Il avait fallu attendre trois ans et demi, pour qu’il accepte d’entrer dans une classe relais, avec comme perspective improbable une 3ème d’insertion. Je quittai mon poste avant qu’il n’y entrât. Mais il le fit. Il y découvrit le métier de son choix, entra en apprentissage après s’être présenté au brevet des collèges … qu’il obtint avec mention. Il réussit à décrocher son CAP de boulanger. Aujourd’hui âgé de 20 ans, il lorgne sur une boulangerie en faillite… qu’il aimerait reprendre à son compte. Cette destinée est des plus surréalistes.

Il ne s’agit pas, bien entendu, d’en tirer comme conclusion l’inutilité de la scolarisation et de banaliser le décrochage, ces exceptions qui viennent d’être présentées confirmant la règle ! Reste une hypothèse explicative tentante : celle de ce haut potentiel qui permit à Thomas de rattraper, en une année, les quatre qu’il avait manquées jusque-là. De telles facilités lui avaient permis de compenser son retard. Mais, pour combien d’autres jeunes de son âge, un tel décalage serait insurmontable ? Une telle situation n’est bien sûr pas de celles qui se rencontrent le plus souvent en protection de l’enfance. Mais cela existe aussi… comme ailleurs.