Y a-t-il mensonge ou pas?
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dans Billets d'humeur
Elle travaillait dans un foyer hébergeant des adultes porteurs de handicap, comme veilleuse de nuit. Elle a été victime d’une cabale, deux résidents l’accusant d’attouchement sexuel. Elle est aussitôt mise à pied, à titre conservatoire. Après enquête, aucun élément n’est retenu contre elle. Ses accusateurs reconnaissent avoir menti. « Ce jour-là, j’ai eu l’impression de prendre un 38 tonnes en pleine figure. Quelque chose en moi s’est cassée, j’ai perdu ma confiance et mon intégrité » témoigne-t-elle (1)
Il reçoit cinq adolescents dans son « gîte d’enfants ». L’un deux se plaint à son père de s’être fait agresser physiquement par le responsable des lieux. Il donne des détails, précisant le lieu où cela se serait déroulé : dans la salle à manger Le parent se fait menaçant, promettant de venir sur place venger son fils. Il est invité à se déplacer. L’explication est tendue jusqu’au moment où la caméra-vidéo qui tourne en permanence démontre, image à l’appui, que s’il y a bien eu un échange houleux, aucune trace d’un coup n’ayant été porté.
Certes, l’usage de caméras dans un lieu d’accueil en protection de l’enfance est plus que douteux. Mais, au moins, il a permis de montrer que l’adolescent avait menti. Ce dernier s’est excusé et son père a failli lui en mettre pour de vrai, une claque ! Pour autant, la présence d’une scène filmée en permanence ne prouve rien, puisqu’en cas de volonté agressive, il suffit de le faire dans un angle mort de la caméra !
Ces deux évènements sont évoqués ni pour mettre en doute la parole d’un usager (qu’il faut toujours écouter), ni pour minimiser les violences dont ils sont massivement victimes (qu’ils nient bien plus souvent qu’ils ne révèlent). Ce dont il s’agit, c’est bien l’impasse à laquelle mènent deux essentialisations : une personne accompagnée mentirait ou dirait toujours la vérité. Elle a bien des raisons potentielles de travestir la vérité : pour fuir ses responsabilités, pour sortir d’une situation embarrassante, pour se venger, pour nuire, par jalousie, par ressentiment, par colère etc… Finalement, comme n’importe qui, y compris le lecteur de cette chronique dont nous ne doutons pas de la profonde honnêteté, mais qui aurait pu s’y adonner, dans un lointain passé, preuve que personne n’est parfait (pas plus d’ailleurs que l’auteur qui écrit ses lignes qui ne fait pas exception).
Que faut-il en conclure ? Peut-être chasser cette vieille habitude consistant à raisonner d’une manière binaire : croire ou ne pas croire. Il est toujours nécessaire de prendre au sérieux la parole qui nous est adressée. Qu’elle soit fondée ou mensongère est certes important à identifier, dès lors où elle peut avoir des conséquences graves, quand une accusation d’agression est portée. Mais, d’un point de vue éducatif, accueillir cette parole en toutes circonstances, c’est la prendre en compte et tenter de percer son sens, en la tenant pour le symptôme d’une souffrance, soit parce que dans l’immense majorité des cas, elle est la révélation d’une agression, soit l’expression d’un mal-être dans le rapport à l’autre.
(1) Ouest-France 21/11/2024