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dans Billets d'humeur
Comme un rite annuel, les assassinats de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, et de Dominique Bernard, le 13 octobre 2023, ont été commémorés le mois dernier, les élèves de tout le pays étant invités à une minute de silence. Ces homicides commis par des intégristes radicalisés ont horrifié toute personne respectueuse de la vie humaine et de la liberté de parole.
Pourtant, un paradoxe surgit. Le 19 mars 2012, Mohamed Merra assassinait trois enfants et un enseignant devant le collège juif Ozar Hatorah, à Toulouse. Mais, curieusement, pour ces victimes, pas de commémoration, pas de souvenir, pas d’hommage.
Depuis quarante ans, une dizaine d’enseignants ont trouvé la mort dans le cadre de leur fonction. Cela fait beaucoup, beaucoup trop. Il n’y en aurait encore qu’un seul, que ce serait insupportable Mais, cette panique morale qui fait dire à certains commentateurs que chacun des plus de 865 000 profs entrant dans sa classe se dit « ce sera peut-être mon tour aujourd’hui » … n’est-elle pas outrancière quand dans le bâtiment et les travaux publics, ce n’est pas un mort tous les 4 ans, en moyenne, mais un mort par jour travaillé du fait des accidents de travail ? Pour eux, aucune cérémonie, aucun recueillement, aucune mémoire.
Le massacre de 1 200 personnes lors du pogrom terroriste du 7 octobre a soulevé une vague mondiale d’indignation. Mais les 42 000 victimes provoquées par les crimes de guerre israéliens à Gaza résonneront encore longtemps comme l’un des pires carnages de ce début de XXIème siècle. Mais qu’est-ce que 42 000 morts en 12 mois de guerre, quand le bombardement américain du 9 mars 1945 sur Tokyo en fit 100 000 en un jour et celui sur Hiroshima le 6 août suivant 140 000 ?
Faut-il s’enfermer dans une macabre comptabilité du nombre de morts, pour trouver une légitimité à l’indignation, à la colère et au dégoût de ce que l’espèce humaine peut faire de plus ignoble et désastreux ?
Serions-nous toutes et tous atteint(e)s du syndrome du différentialisme émotionnel face aux atteintes à la vie humaine ? Comment expliquer que certaines morts puissent avoir plus de valeur que d’autres ? Pouvons-nous continuer à nous émouvoir face à certains massacres commis dans un coin de la planète, tout en détournant les yeux de ceux qui se commettent à l’autre bout ou juste à côté ?
Une explication possible est à rechercher dans cette expression galvaudée: « je préfère ma fille à ma sœur, ma sœur à ma cousine, ma cousine à ma voisine, ma voisine à une étrangère. » L’espèce humaine s’est toujours rassemblée en groupes communautaires séparés. Et ce, depuis les premières hordes de la préhistoire jusqu’aux appartenances contemporaines autour des nations, des références ethniques, des spiritualités religieuses, des préférences culturelles, des adhésions associatives, politiques ou philosophiques, des corporations professionnelles, etc … Ces regroupements induisent un regard positif envers ses pairs et une défiance pour les étrangers. Chacun(e) va plutôt s’émouvoir de ce qui affecte celles et ceux composant son endogroupe et se montrer bien plus indifférent(e) à l’égard de celles et ceux qui dépendent d’exogroupes. Cela explique-t-il l’amplification des ressentis face aux malheurs de ses proches et la distanciation des éprouvés face aux souffrances de ceux ne partageant pas les mêmes affiliations ? Cela y ressemble et personne n’y échappe.
Sauf, peut-être, à faire sienne la belle formule d’Alphonse de Lamartine : « je suis de la couleur de ceux qu’on persécute ». Je m’y retrouve au point de proclamer : je suis israélien quand des terroristes les massacrent le 7 octobre. Je suis palestinien quand l’État israélien les opprime depuis 70 ans et les anéantit depuis un an. Je suis juif quand l’antisémitisme les salit. Je suis musulman quand l’islamophobie les stigmatise.