Le droit à la réactivation du lien
-
dans Billets d'humeur
Quesako ? C’est un concept forgé par une étudiante fréquentant le DEIS que j’accompagne, comme chaque année depuis douze ans. Il désigne ce droit que doit avoir tout usager de retisser une relation sinon avec le (la) professionnel(le) qui a été à ses côtés un temps, au moins avec son service, s’il (elle) n’est plus en poste.
Je cite régulièrement cet extrait du « Petit Prince » où Antoine de Saint-Exupéry fait dire au renard : « tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé ». Que devient l’autre que l’on a approché et qui nous a donné sa confiance, acceptant que nous l’accompagnions ? Tantôt derrière pour le stimuler, tantôt devant pour le guider, tantôt côte à côte pour le sécuriser … Il a cru en nous et a apprécié notre compagnonnage. Et puis, nous avons disparu, en lui signifiant que le suivi devait s’interrompre. Il en a convenu, le plus souvent, n’ayant plus besoin de nous. Mais parfois, il a trouvé que c’était un peu trop tôt. Nous sommes comme une pompe à essence auprès de qui il s’est rempli d’espoir, d’estime de soi, de reconnaissance de ses compétences. Il a continué son chemin et a trouvé bien d’autres pompes à essence. Mais, il lui arrive aussi - comme à toutes et à tous- de revenir sur ses pas et de repasser devant cette pompe à essence, en se disant qu’il viendrait bien en retirer encore quelque énergie. Alors, il aimerait bien solliciter à nouveau le pompiste.
Finalement, ce droit à la réactivation du lien, c’est un peu cela : garantir à l’usager la possibilité de retrouver un(e) professionnel(le) qui a compté pour lui, de lui montrer ce qu’il devient, ses avancées et peut-être ses blocages.
Les arguments ne manquent pas pour s’y opposer : la dimension régressive (retour en arrière sur un vécu compliqué), la crainte de pérenniser un lien qui ne peut être que temporaire (avec le risque de le voir s’enkyster), la nécessaire « bonne distance » (qui évite un attachement affectif inapproprié), etc, etc, … Rien que des billevesées et des calembredaines !
Pendant mes presque 28 ans de référence ASE, j’ai tenu le même discours à la fin de chacun de mes 312 accompagnements individuels : le refus de toute demande de ma part pour reprendre contact, mais la liberté laissée à chacun(e) d’en prendre l’initiative, à sa convenance. Il (elles) ne sont pas plus d’une dizaine à y avoir eu recours, de façon ponctuelle dans la presque totalité des cas, sans que jamais ce lien ne devienne une dépendance. Ce faible pourcentage montre que le relais a bien pris et que, lancés dans la vie, ces enfants et jeunes n’ont plus eu besoin de moi. C’est une bonne nouvelle. L’inverse aurait été inquiétant.
Mais au-delà des postures individuelles, ce « service après-vente » existe déjà au niveau institutionnel. Dans le dispositif médico-social, la loi prévoit la possibilité d’un suivi de trois ans pour chaque jeune après sa sortie d’un Itep, d’un Ime, d’un Iem etc.
Quant à la Fondation d’Auteuil, elle pratique depuis des décennies une fin de prise en charge qui se traduit par un engagement de l’association de répondre aux sollicitations de ses anciens pensionnaires, que ce soit 1 an, 10 ans ou 50 ans après son départ. Il n’est pas nécessaire de s’adresser à la « maison » où il (elle) a été accueilli(e). Un(e) professionnel(le) dispose d’un temps de travail dédié à ce lien durable dans chacune d’entre elles. La reprise de contact est inconditionnelle. Elle débouchera non sur un suivi long, mais sur un ou plusieurs entretiens (téléphoniques ou en présentiel) débouchant sur une réorientation vers un service idoine spécialisé ou de droit commun, si cela s’avère nécessaire.
Un ancien enfant placé, consulté lors d’une étude, raconte que la pire des réflexions qu’il ait entendues, c’est l’annonce au début de l’accueil que celui-ci aurait un terme. Il l’interpréta alors comme une promesse d’abandon. Ce sont les personnes que nous accompagnons qui doivent nous abandonner, pas nous qui devons le faire et encore moins leur annoncer d’emblée !
Merci à cette étudiante (qui se reconnaitra) d’avoir forgé ce concept qui mériterait d’entrer dans nos chartes déontologiques : tout usager avec qui nous avons tissé un lien a un droit inaliénable de nous solliciter, en cas de besoin, sans conditions.