A double tranchant

La littérature jeunesse consacrée à l’Afrique présente rarement ce continent sous d’autres aspects que celui d’un misérabilisme apitoyé stigmatisant une prétendue arriération. Ce qui n’est pas sans poser question. La lecture d’un livre, en particulier, a provoqué chez moi gêne et confusion : « Ailleurs » (1).

L’intention est pourtant louable : faire prendre conscience des violences subies par bien des enfants à travers le monde en général et plus particulièrement en Afrique. Les dessins sont magnifiques et les thématiques évocatrices : la pauvreté, la guerre, les conditions de vie, la migration. De quoi mobiliser la conscience du lecteur, quel que soit son âge… Mais il arrive parfois que les meilleures intentions du monde se fracassent derrière des stéréotypes contre-productifs.

Commençons par la couverture présentant trois enfants dessinés de dos assis sur une barrière en bois. Le cadre est posé. Malgré l’intitulé général de l’album « Ailleurs », cette image induit intuitivement que cet ailleurs se déroule bien en Afrique.

La première double-page nous le confirme : « Dans mon pays, il fait chaud et il n’y a pas d’eau ». Ah bon ? Ce continent ne serait donc qu’un vaste désert aride et hostile ? Une telle idée reçue vole en éclat, dès lors où l’on consulte une carte décrivant les différents régimes hydrométriques de ce continent, démontrant sa diversité Climat de l'Afrique — Wikipédia. Il est même possible d’établir des records contre-intuitifs :  certaines régions africaines comptabilisent jusqu’à 3 000 millimètres de pluie par an, alors même que le maximum atteint en Europe ne dépasse pas 1940 mm (en Islande). C’est un peu comme si notre propre continent était représenté par une étendue glacée des pays nordiques ou la chaleur extrême du sud de l’Espagne. Un peu réducteur, quand même !

La double page suivante fait figurer une représentation d’enfants jouant au football, accompagnée de la légende : « Dans mon pays, on joue sur le sable » Ah bon ? Il n’existe donc aucun terrain de football stabilisé sur ce continent ? Les pauvres ! Ce n’est pas comme en Europe où jamais des gamins ne font une partie sur un terrain vague, avec deux vêtements roulés en boule pour délimiter les buts.

Double page suivante ? « Dans mon pays, les enfants sont de petits soldats ». Ah bon ? Dans chacun des 55 pays formant le continent africain, les militaires recrutent donc leurs soldats, dès l’enfance. Poser la question, c’est y répondre : autant d’amalgames et de confusions !

Double page suivante, encore… « dans mon pays la nuit est noire ». Ce n’est pas comme en Europe où la pollution lumineuse l’emporte ! Ah bon ? Pourtant, le rapport de l'OCDE/Club du Sahel, publié en 2020, met l’accent sur la densification accélérée des zones rurales : les villes s’étalent et les campagnes s'urbanisent. En Afrique, les villes s’étalent et les campagnes s'urbanisent La lumière urbaine est donc loin d’être le monopole des pays du nord. Encore une fois, la caricature et la simplification l’emportent.

Sautons quelques pages et arrivons à ce dessin montrant une ville en ruine : « dans mon pays, il y a la guerre et j’ai peur de mourir ». Ah bon ? Le continent africain serait donc à feux et à sang du nord au sud et de l’est à l’ouest. Aurait-on l’idée de présenter les ruines des villes d’Ukraine bombardées pour symboliser l’Europe ?

Tous ces partis-pris insuffisamment nuancés et explicités présentent tout un continent sous un jour maléfique. Les auteurs ont voulu bien faire, dénoncer les injustices et dénoncer le sort réservé à tant d’enfants. Belle et noble intention. Mais, les stéréotypes qu’ils transmettent, aussi involontaires soient-ils, présentent le risque d’enfermer l’enfant lecteur dans une représentation essentialisée d’une région du monde riche d’une grande diversité d’habitats et de cultures, de climats et de situations géopolitiques.

Ce livre est parrainé par Amnesty International. Aveuglement et fourvoiement ou choix délibéré et assumé ? Etonnant pour une association dont la vigilance est pourtant si réputée et qui a fait de la dénonciation des préjugés son combat.

 
(1) « Ailleurs » de David Guyon (Auteur) et Hélène Crochemore (Illustrations), Éd. ‎ Talents Hauts, 2019