Narcotrafic : hypocrisie à tous les étages

La France sera bientôt gangrénée par le narcotrafic : c’est en tout cas l’annonce qu’en font les médias. Un chiffre d'affaires du marché de la drogue évalué à 3,5 milliards d’euros par an. Près de 300.000 personnes en sont partie prenante. Une guerre des cartels qui fait rage : 110 meurtres et 341 blessés en 2024, un enlèvement ou une séquestration tous les trois jours. Une corruption croissante de l’appareil d’État … Comment en est-on arrivé là ?

Première tartuferie : c’est vrai qu’il existe un marché légal d’une substance psychoactive faisant des ravages depuis des décennies. Même s’ils ont tout causé 4 460 décès sur la décennie 2011-2021, ce ne sont pas les stupéfiants qui occupent les deux premières marches du podium. Le premier des produits à être le plus meurtrier dans notre pays, c’est le tabac avec 66 000 morts. Puis vient l’alcool, avec 49 000 décès chaque année. Ah mais, pas touche au pinard, ce porte-étendard de l’identité et de la tradition françaises. Le lobby des alcooliers a même réussi à saboter les campagnes du « dry january », en obtenant du ministère de la Santé la suppression de leur promotion, c’est dire ! « Mais enfin décidément, aujourd’hui, on ne peut plus rien faire. Si ce n’est même plus possible de se chopper une cirrhose du foie, si on en a envie, où va-t-on ? »

Seconde duplicité, celle qui a trait à une question simple : qui est responsable de l’entrée dans le trafic illégal de la drogue d’une fraction de la jeunesse qui s’entretue aujourd’hui ? Ah, l’appât du gain et l’argent facile. Étonnant toutefois que ce soit plutôt dans les quartiers en grande difficulté que dans le XVIème arrondissement. « Ca y est, voilà tout de suite la culture de l’excuse .» Pourtant, si beaucoup de jeunes confrontés à l’exclusion sociale refusent de s’engager dans cette voie, la tentation est grande. Et quand vous êtes sans perspective, en échec scolaire et/ désocialisé, il est parfois difficile de résister à ces bonimenteurs qui vous font miroiter un argent rapide : 30 euros la journée pour le coursier qui apporte à boire et à manger aux trafiquants, 60 euros pour un guetteur, 150 euros pour un vendeur, 1500 euros par mois pour une nourrice ou entre 20 et 60 000 euros si vous vous improvisez tueur à gage. Combien d’ados placés en foyer de l’ASE sont happés par les réseaux de trafiquants, déplacés de ville en ville pour servir de petite main, incités à consommer pour mieux installer leur dépendance à l’égard de leurs protecteurs mafieux. Il est sûr que la meilleure réponse, ce n’est ni la prévention, ni l’aménagement d’un meilleur avenir, ni l’accompagnement éducatif. Non, à n’en pas douter, la réponse c’est toujours et encore plus de répression. En commençant, bien sûr, par les consommateurs ! .

Troisième tromperie : cela fait des décennies que nous avons perdu la guerre contre la drogue. La France est un des rares pays démocratiques à maintenir une politique prohibitionniste aussi intransigeante. Avec le succès que l’on connaît : en 2023, 14,6% des adultes ont déjà expérimenté la cocaïne, l'ecstasy, les champignons hallucinogènes ou l'héroïne contre 9,1% en 2014.

Comment réagir ? Les recettes-miracles n’existent pas. Non pas, en tout cas, par la dépénalisation de la drogue qui laisse un grand vide règlementaire. Sa légalisation, selon des conditions précises, reste une piste fertile. Je l’ai défendu dans les colonnes du Journal de l’animation en 2001 Faut-il légaliser le cannabis ? et de Lien Social en 2013 Pourquoi la pénalisation des drogues doit s’arrêter. Rien dans l’argumentation qui y est défendu n’a perdu de son actualité.