Peau de chagrin

 Fin novembre 2024, la DREES* publiait une étude sur la trajectoire sur neuf ans des différents professionnels du travail social, entrés en fonction en 2011 ou 2012.

Les Éducateurs spécialisés sont les mieux lotis : 51 % sont encore sur un poste correspondant à leur diplôme. Puis, viennent les Aides médico-phycologiques avec 45 %. S’ensuivent les éducateurs techniques (38 %), les Assistantes sociales (37 %), les Conseillères en économie sociale et familiales (36 %), les Moniteurs éducateurs (31 %), les Éducateurs de jeunes enfants (29 %), les Aides à domicile (24 %), les animateurs socio-culturels étant ceux qui restent le moins longtemps (15 %).

Certes, nombre d’entre eux ont rejoint d’autres professions sociales ou de santé. Mais la réduction des effectifs encore en place moins de dix ans après leur certification est quand même des plus spectaculaires. Trois explications peuvent être apportées pour interpréter cette statistique qui fleure bon la désaffection, la désertion, voire la débandade.

La perte d’attractivité du travail social, d’abord, tant en termes de rémunération que de détérioration des conditions de son exercice. Tout professionnel reçoit trois salaires. D’abord, celui perçu sous forme monétaire. Si les métiers de l’aide à la personne ne sont pas motivés par le montant de la fiche de paie, ce dernier peut constituer un facteur de démotivation. Puis, vient le salaire que représentent le travail bien fait et la satisfaction devant la qualité de la mission accomplie. La protocolisation envahissante qui nuit à la créativité et à la fécondité du travail social peut en décourager plus d’un. Enfin, vient le salaire de la reconnaissance. Bien sûr, rien ne vaut le regard rempli de gratitude reçu de la personne que l’on accompagne et qui dit tout. Mais, la lassitude gagne parfois, quand les seules remarques renvoyées par l’institution sont celles concernant des échecs ou des erreurs. Ou que l’indifférence de la société l’emporte.

Autre explication possible, le temps où des carrières se prolongeaient sur 40 ans dans la même profession est révolu. Au cours de sa vie active, un salarié va dorénavant endosser de multiples fonctions, parfois bien différentes les unes des autres. Il va apprendre plusieurs métiers et en changer régulièrement tout au long de son existence. Par goût du renouvellement, par opportunité quand une proposition intéressante lui est faite ou par contrainte quand son emploi disparaît. Mais aussi, par épuisement, par découragement, par écœurement. Ce qui, dans ce dernier cas, n’est pas très éloigné de ce qui se vit parfois dans le travail social.

Enfin, troisième occurrence, l’appétence des nouvelles générations à construire un parcours alternant emploi salarié et temps pour soi. La perspective de bénéficier d’une retraite s’éloignant d’année en année, le projet de travailler pendant quarante ans, voire plus n’est pas forcément ce qui est le plus attendu. Quand l’Etat social est de plus en plus grignoté et avec lui la possibilité de profiter d’un légitime repos après une vie entière de labeur, autant prendre sa retraite tout de suite, par petit bout. Le nombre croissant de candidats demandant, avant d’accepter une offre d’emploi, de bénéficier d’un contrat à durée déterminée (plutôt qu’indéterminée) en est sans doute le symptôme. Comment leur en tenir rigueur ?

Toutes ces réalités nouvelles vont changer le fonctionnement du travail social. Le néolibéralisme et sa propension à s’attaquer aux protections construites depuis 1945 (et aux professionnels qui les font vivre) en est le principal responsable. Déjà, les instituts de formation peinent à recruter des étudiants et les employeurs à trouver du personnel (30 à 50 000 postes seraient non pourvus) … pour autant que les cadres chargés du recrutement restent en poste plus longtemps eux-mêmes. Ils ne sont que 36% à y être encore, neuf ans après l’obtention de leur diplôme !

 

*Données sur les trajectoires de carrière de l’ensemble des professionnels du social, par profession — DATA.DREES