Coups de poignard à l’apprentissage du français

Octobre rose : la campagne pour sensibiliser les femmes au dépistage du cancer du sein est bien commencée. Il y aurait eu un doublement des cancers toutes catégories confondues depuis 1990. Mais il est un autre cancer encore plus terrifiant qui mine nos sociétés : la xénophobie.

Depuis fin mai, la chasse aux clandestins est devenue le sport national de la police fédérale américaine. Une vague de violence visant des immigrés a secoué l’Irlande du Nord au mois de juin. Une protestation inédite a éclaté au Japon au mois d’août pour contrer un prétendu plan de migration, depuis certains pays africains. Plus de 100 000 personnes ont manifesté en septembre en Grande Bretagne avec comme seule adversaire : l’immigration. Aux élections régionales allemandes du 14 septembre le parti d’extrême droite triple son score en Rhénanie, passant de 5 % il y a un an à 16,4 %.

Qu’en est-il de notre beau pays, patrie des droits de l’homme ? Le cancer l’a atteint, lui aussi. Avec son million de signatures pour une pétition visant les étrangers et ses 31 % d’intention de vote pour l’extrême droite, il a même gangréné une bonne partie de l’opinion publique. Un adage veut que le poisson pourrisse par la tête. Cela se confirme quand on se penche sur une décision prise par l’Office français pour l’immigration et l’intégration.  

Cet organisme est en charge de la formation linguistique destinée aux migrants. Les décrets d’application parus en juillet de la loi Darmanin (elle-même votée en janvier 2024) ont modifié ses pratiques. Jusque-là, elle finançait les organismes chargés, après avoir été retenus à ses appels d'offre, d’accueillir des groupes de locuteurs étrangers impliqués dans l’apprentissage de notre langue. Dorénavant, 80 % des 600 000 personnes concernées chaque année seront privées de cet accompagnement en présentiel et dirigées vers une plateforme interactive pilotée par l’intelligence artificielle. Cette confrontation aux écrans signifie la privation de la socialisation que permet l’échange et l’interaction avec des francophones. Comme un coup de poignard ne suffisait pas, un second a été donné. Jusque-là, il fallait atteindre le niveau " A1 " du " Français langue étrangère " pour obtenir un titre de séjour. Dorénavant, c'est le niveau supérieur dit " A2 " qui est exigé. Bel effet ciseau ! Une lame s’élève : c’est le niveau exigé. Une lame s’abaisse, c’est la dégradation des moyens accordés pour l’atteindre.

L’accession à la langue française n’est dès lors plus un droit, elle devient un devoir. Elle n’est pas un facilitateur d’intégration, mais un frein. Elle ne rapproche pas de la communauté nationale, elle restreint cette intégration, en la conditionnant. C’est là une illustration des plus cyniques de l’art et la manière de s’attaquer à l’immigration de manière détournée, par la précarisation et l’exclusion. Un collectif de juristes a été mobilisé pour contester devant le tribunal administratif cette offre de marché public centré sur un distanciel imposé sans laisser le moindre choix. Alors même que la dématérialisation de tout service public doit être associée à une alternative de contact physique. Le combat juridique mené parallèlement à la mobilisation des associations relève de la lutte pour l’accès aux droits.

L’espèce humaine serait programmée pour défendre son territoire, son instinct ancestral issu de son cerveau primaire reptilien l’y incitant. Mais, en chaque individu, la part de culture et d’éducation l’incite à se tourner vers l’autre, à aller à la rencontre de la différence, à explorer l’inconnu. C’est ce que font des milliers de citoyens engagés dans l’aide aux migrants et l’accompagnement de leur apprentissage du français. Qu’un hommage leur soit rendu ici, témoignage de la pleine humanité que nous partageons avec nos frères et sœurs de tous les pays et toutes les ethnies, de toutes les cultures et toutes traditions, de toutes les croyances et toutes les non-croyances.