Nus près de chez vous

Carte blanche à Ludwig

« Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence ».

Omar et Youssef sont deux copains d’enfance. Du bâtiment 5 de la cité des roses. Autrefois mixée et attirante, aujourd’hui dépeinte et oubliée, réservée aux plus précaires. Ceux qui ont pu, sont partis il y a longtemps. Deux enfants de troisième génération, c’est-à-dire nés en France, de parents non immigrés, ayant au moins un grand-parent immigré. Des petits enfants de la République, fils de France, ce pays dit d’égalité et des lumières. Auparavant, peut-être, dans des temps lointains, ou bien pour certains, seulement.

Enfants du béton des cités, où même les fleurs ne veulent pas pousser, Omar et Youssef sont allés à l’école « de la République », celle qui promeut et promet valeurs et égalité de traitement pour tous. Il faudrait sans doute commencer par donner des moyens à l’éducation, afin de permettre des conditions d’apprentissage correctes et de meilleures conditions de travail aux professeurs. Mais là n’est pas mon propos ici, même s’il est relié à la trajectoire de ces deux jeunes qui y auront connu les échecs, les victoires, les belles rencontres, la ségrégation spatiale, économique et sociale de ce ghetto français, les coups durs et les coups du sort, et que sais-je encore… Mais Omar et Youssef ne veulent pas de ce bac pro vente « fait pour eux », comme une voie secondaire sans issue. Non, il y a ce rêve de grands espaces, de rencontres, de faire autre chose que de répondre à un déterminisme social, de se distinguer, de casser les codes et les modèles culturels. Merci Bourdieu !

Alors, un jour, LE Projet. Partir sur les routes de France, à la rencontre des gens, tout nu, à poil, sans le moindre appareil, sauf une petite caméra pour filmer leurs voyages et le raconter sur leur tiktok ou leur chaine YT, prometteuse d’une grande carrière d’influenceur et de voyage au Qatar. Il y a, dans leur démarche, cette envie de rassembler, cette soif de mixité, d’ouverture, de tolérance, de rencontre qu’importe d’où l’on vienne. Un peu (beaucoup) de naïveté, aussi. Parce que partir à poil, des volcans d’auvergne, tout juste couverts de fougères et frapper aux portes pour « vous rencontrer », et bien, « je crois que ça ne va pas être possible » comme chantait Zebda. Il faut dire que des portes claquées, des regards de suspicions, des chiens enragés par leurs maitres, Omar et Youssef en ont eu. Il faut dire aussi que l’idée de réunir une France dans un été post-électoral où l’extrême droite a failli prendre le pouvoir était un pari risqué. Et on ne compte plus les contrôles policiers intempestifs, au faciès, les insultes, les comportements et agressions maintenant ouvertement racistes. Un racisme aujourd’hui débridé, violent, assumé dans une France aux couleurs bleu marine.

Barbe naissante, habits récupérés auprès de la paroisse, restes de repas et fonds de poubelles, nos deux compères font « chou blanc » dans cette quête de la réunification. Il faut dire qu’ils ont la tête de l’emploi, et une phrase d’accroche aux sonorités de quartier lorsqu’ils annoncent poliment « bonjour, moi c’est Omar et voici Youssef, on est deux voyageurs, sans argent, (…) » qu’à peine les portes claquent. Quand on ne les oriente pas vers l’association locale d’aide aux réfugiés, les prenant pour deux dangereux migrants venus égorger vos fils et vos compagnes.

Il faut dire aussi qu’au premier tour des élections législatives de 2024, les partis d'extrême droite ont obtenu 34,09 % des voix (1). Un chiffre qui ne fait que monter depuis la création de Front national en 1972 dans un processus au temps long. Par ailleurs, la dernière poussée du RN, lors des élections de 2024 trouve ses explications notamment dans l’approfondissement d’une crise sociale, celle-ci manipulée par le rassemblement national au moyen d’un cadrage idéologique désignant les immigrés et l’immigration comme cause initiale des difficultés éprouvées en condition de vie.(2)

Cela étant dit, nos deux compères, avec leur tête hirsute de rois mages, avait pourtant une bonne idée. Je ne sais pas ce qui a coincé ! Ce que je sais, c’est qu’endormis sur une plage, couverts de récup’, les voilà confondus avec des réfugiés et contrôlés par la Police Aux Frontières, direction le CRA (3) ! Ah, elle est belle la France ! Nettoyez-moi ces plages avant que cela ne gâche la photo de vacances. Le nettoyage social, depuis les JO à Paris, on sait faire !

Alors, c’était en effet une belle idée d’entreprenariat, qui aurait pu fonctionner. C’est comme dans le social, il faut évaluer le projet pour comprendre où ça a foiré…Si vous avez une petite idée… Bref, je crois que le concept est libre si d’autres veulent tenter l’aventure…