Échapottée du Chat Noir

Carte blanche aux tribulations d’une assistante sociale de rue 

Échapottée (1) du Chat Noir

Si le suspens fut insoutenable, je m’en excuse et espère apporter une digne suite aux Simulacre du Chat Noir, titre honotérifique (2), qui me (pour)suit.

Rappelez-vous, ce statut m’est rapidement attribué par mes collègues travailleurs sociaux comme agents assermentés de la Police Municipale (3) car je me frotte, inopinément mais fréquemment, à toutes sortes de déconvenues révélatrices d’aléas quotidiens en lien avec la dynamique de rue.

La dernière maraude en date atteint quand même le paroxysme du mauvais augure. Je vous raconte. Nous voilà alors, un équipage d’agents de la Police Municipale, une partenaire extérieure et moi-même, en maraude dans des coursives sécurisées d’un tunnel longeant l’unique fleuve de la ville. Les accès étant réglementés et sécurisés, un agent de la voirie nous accompagne et nous ouvre toutes les serrures des sas ou locaux techniques du site, pouvant potentiellement être squattés.

Après 1H30 de marche au travers d’étroits couloirs poussiéreux et sombres, guidés par le faisceau de nos lampes torches, à changer de niveaux par l’utilisation d’échelles de secours soudées aux murs, nous arrivons dans une zone où des traces de vie et de couchages nous ont été signalées.

Ici, une première porte accessible directement depuis le tunnel est ouverte et bloquée dans cette position, avant que nous ne pénétrions dans un sas où une seconde porte nous fait face. Celle-ci est immense, elle se ferme en quatre points grâce à des manivelles et ressemble étrangement aux fermetures hermétiques des sous-marins. En effet, l’agent de la voirie nous confirme qu’elle est étanche, protégeant les lieux d’inondations intempestives lors de crues fluviales.

L’ouverture de ce vantail prend alors plusieurs minutes avant que nous n’accédions à ce squat, où gît une multiplicité de traces de vie comme de preuves de consommations (seringues usagées, pipes à crack, bangs). Ensuite, nous remarquons rapidement que cet habitat est organisé par un espace de couchage délimité et un espace similaire à une salle de bain (coin douche représenté par des bouteilles d’eau posées au sol à côté d’une brosse à dent et, plus loin, un bac d’excréments). Au-dessus de nos têtes, une trappe sert de point d’entrée, mais ne s’ouvre que depuis l’extérieur.

Dites-vous que nous nous sommes retrouvés enfermés dans ce local technique lugubre. Heureusement, les occupants étaient absents. Ce regrettable incident survient suite à un oubli colossal de notre « passepartout » (4) désigné, qui est persuadé que cette porte s’ouvre de l’intérieur. Malheureusement, à trop vouloir sécuriser ces sites complexes de toutes installations, il nous avoue plus tard que la poignée intérieure de la trappe a également été retirée.

Ainsi, lorsque cette merveille de porte se claque après notre passage, elle nous enferme dans un huis clos des plus caustiques. Le mieux reste à venir. Bien que des équipages de Police Municipale (5) de secteur soient diligentés à notre secours, aucun de ses bras cassés n’apparaîtra pour nous libérer : ils avaient mieux à faire que, dixit : « cette mission à la con » (6), réflexion largement diffusée sur les ondes de nos radios de service. Notre libération, après presque deux heures de cloisonnement, ne surviendra que grâce à un second agent de la voirie, appelé en renfort, et à qui il a fallu prouver, pendant de longues minutes, que l’histoire n’était pas une mauvaise blague.

Voilà pourquoi et naturellement, mes tracas sont devenus propagande de cette aura de Chat Noir. En uniforme ou non, nombreux sont ceux qui déclarent ouvertement leur refus de faire équipe avec moi, principalement car ils ne savent jamais à quoi s’attendre ni à quelle situation spectaculaire nous serons confrontés.

Pour conclure, cette dernière péripétie m’a enfin confrontée à ce statut symbolique de Chat Noir (7). Après réflexion, j’ai appris à accepter la félinité de ce grade singulier et aujourd’hui, je le revendique fièrement : personne ne s’ennuie jamais avec moi et je retombe toujours sur mes pattes !

 

(1) Collision du nom féminin « échappée » avec le patronyme du Félin, mondialement connu pour son regard suppliant : « le Chat Potté » .

(2) Maelstrom s’abreuvant de l’honorifique comme du terrifique

(3) Souvenez-vous : je suis celle que vous avez imaginée vendue, veste retournée, à l’imposteur, écrasant sous mes semelles les valeurs humaines qui traversent les professions du social. 

(4) Pour ceux qui n’ont pas la réf, Passepartout est un personnage de Fort Boyard qui détient la plupart des clés du lieu

(5) À laquelle nous appartenons, je vous le rappelle !

(6) À comprendre : ils se promenaient loin de leur secteur d’intervention et ne pouvaient arriver dans les délais qu’ils annonçaient à leurs supérieurs, nous faisant passer pour des cons !

(7) Dans certaines cultures (plus discrètes peut-être), le Chat Noir est symbole de chance et de bonheur : en avoir un dans sa maison serait de bon augure.