Simulacre du Chat Noir

Carte blanche aux tribulations d’une assistante sociale de rue 

Simulacre du Chat Noir

Débutons ensemble par cette révélation fracassante (1) : depuis bientôt 2 ans, je suis salariée d’une Police Municipale et affectée dans une unité spécifique aux sans-abrisme. Pour la faire courte, sachez que travailleurs sociaux et représentants de l’ordre interviennent en rue quotidiennement, conjointement et en complémentarité.

Bref, depuis mes débuts à ce poste, j’évolue au diapason d’infimes déboires qui, par leurs répétitions, m’ont value la sur-nomination de Chat Noir (2) dont les mésaventures sont contées entre collègues, aussi bien travailleurs sociaux que détenteurs de l’autorité publique. Imaginez-vous, dès que je mets un pied en extérieur, des évènements hasardeux s’invitent fréquemment. Evidemment, ceux-ci cimentent le fondement et liquéfient la source des railleries et moqueries qui me sont amicalement adressées. Pour ma part, j’observe patiemment ces variations, ces ondulations et ces dérégulations – qui secouent un fonctionnement binaire rigide –, afin de me les approprier, d’en (re)connaitre l’essence pour, à terme, incarner un fond constant d’agitation paisible.

Alors, ces circonstances navrantes peuvent s’exprimer sous différentes formes dont le premier niveau serait organisationnel et à relatif à :

  • Attendre seule un équipage dans le froid, durant de longues demi-heures, avant de découvrir qu’aucune maraude n’est planifiée – faute de mail bloqué dans une boite d’envoi – et accepter cet aléa ;
  • Vivre une panne de véhicule, en diluer l’attente sur la bordure du périphérique, avant d’acter un report du déroulé de l’immersion prévue pour des partenaires extérieurs ;
  • Oublier de changer de paire de souliers, et porter malheureusement celle que vous aspiriez à ne surtout pas marquer, ni souiller (3) de l’insalubrité que vous foulez régulièrement.

De surcroit, mes fantasques tribulations découlent aussi et indéniablement de circonstances météorologiques qui ne me sont que rarement favorables : vous seriez surpris de mon incommensurable probabilité à être dehors, éloignée de tout abri voire certaines fois sans parapluie et ce, précisément lors des pics d’intenses précipitations laissant, à sa suite, l’intégralité de mon enveloppe méritant un tour d’essoreuse.

Ici, je souhaite terminer en vous partageant un panel sélectif d’anecdotes situationnelles, tout aussi réelles que diverses. D’ailleurs, elles trouvent leurs singularités, aussi bien par leur encrage sur un territoire que par leur manière de se saisir du lien social proposé. Ainsi, étroitement lié au principe d’aller-vers, ces deux notions représentent les fondamentaux des services de maraudes. La pratique de l’aller-vers favorise l’expression de comportements ou de paroles, comme ce qui suit :

  • Suivre une voie pentue et boueuse pour accéder à un campement puis s’apercevoir, en le quittant, que le chemin boueux où vos pieds s’enlisent, n’est autre que le lieu d’aisance des occupants rencontrés à l’instant ;
  • Piétiner maladroitement leur intimité et l’assumer mollement ;
  • Interrompre un coït par des salutations usuelles, prononcées à travers la toile d’une tente – technique habituelle afin de signaler sa présence –;
  • S’horrifier à la vue – effroyablement tenace – des orifices les plus intimes de la demoiselle nouvellement rencontrée, alors qu’elle se penche en avant pour ramasser son téléphone au sol ;
  • Constater l’état lamentable du vêtement, grandement ajouré en exposant une impudeur caustique. Cet élément est aussi révélateur de l’inexistence d’une quelconque relation, même à l’état embryonnaire, entre le corps, l’intime qui évoluent sans se préoccuper de leur environnement ;
  • Désinfecter un moignon afin de repositionner une prothèse tibiale à l’homme visé par l’expulsion en cours, sous l’œil torve et un brin méprisant de la Police Nationale impatiente et frustrée de cette inaction latente.

Pour conclure, vous comprendrez que ces histoires rocambolesques sculptent progressivement ce titre de Chat Noir, le rendant un peu plus réel à chaque nouvelle surprise. Evidemment, ces ridicules aventures se renouvellent inlassablement et ont, tout récemment, imposé un nouvel épisode épique, à la fois impérieux et peu glorieux ; dont les retombées ont fatalement, voire durablement, sacralisé ce statut de malheur où le simulacre de malchance est assumé par le Chat Noir.

A suivre…


1-Alerte Sanitairo-légale : Information pouvant favoriser l’apparition d’une crispation soudaine du visage, et par conséquent, provoquer de vilaines grimaces réactionnelles et/ou dégoutée dont nous ne pourrions, en aucun cas, être déclaré responsable
2-Certaines croyances populaires véhiculent l’idée que le chat noir est annonciateur de malheur, signe de mauvais présage, lié à la sorcellerie, ainsi il représenterait le diable, le néfaste et/ou le funeste.
3-« Souliers souillés » : répétez-le 10 fois à voix haute et vous serez « saoulé» !