A l’enterrement

Carte blanche à Ludwig

A l’enterrement

C’est par un froid matin d’hiver dégueulasse qu’il a enterré sa mère.

Confié aux services de protection de l’enfance, nous l’accompagnions au quotidien de sa vie d’enfant. Il n’y avait pas beaucoup de sourire sur son visage et nous faisions forcément notre possible pour éviter de futurs naufrages. L’annonce de la maladie de sa mère ne lui avait pas même décroché une larme, que nous-mêmes, référents, tentions de la contenir. Les visites médiatisées se sont multipliées, comme une urgence à profiter des derniers instants, de fabriquer quelques souvenirs artificiels. Puis, sa maman s’en est allée, le téléphone a sonné au service. Je ne me souviens pas de ce moment fatidique où lui a été annoncé le décès. Je me souviens de l’enterrement.

Confié alors pour quelques jours à sa famille, nous avions décidé avec leur accord de nous rendre à l’enterrement, d’être juste présents, au cas où. Le ciel était brumeux, de cette brume collante et froide, pénétrante sous la grisaille d’un ciel qui n’aurait pas même daigné offrir une éclaircie qui aurait, peut-être, réchauffé les cœurs.

Alors nous étions là, les pieds collés et gelés dans ce cimetière au mélange de boue et de neige fondue, sorte de mélasse crasse. Mais qu’importe, nous étions là, dans une juste proximité, à l’écart, convenu d’assurer la famille de notre soutien. Et puis, s’est déroulé ce moment glauque. Quasiment effroyable. Violent. Brutal. C’est au carré musulman que la famille s’était retrouvée autour du cercueil. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu, non. Le fossoyage n’étant pas terminé, ne me demandez pas pourquoi, le carré manquant de place, il avait fallu vider les ossements de l’ancien occupant. Et c’est devant les yeux de cet enfant et de sa famille que cette opération s’est terminée. Je revois de loin, les employés se dépêcher d’exhumer les restes afin de faire place au cercueil de la défunte mère selon les rites de l'islam. Comme cela ne suffisait sans doute pas, il y a eu cet instant d’hésitation lors de l’inhumation. La tragédie pouvait continuer. Le cercueil inhumé, il a fallu le remonter, les employés des pompes funèbres s’étant trompés de sens. En effet, le corps doit être placé sur le côté droit, face à la Qibla, c'est-à-dire en direction de la Kaaba à La Mecque. Cette orientation est essentielle pour respecter les traditions religieuses.

Nous assistions de loin à cette scène insensée. Ne me demandez pas pourquoi tout cela n’avait pas été anticipé. Je ne le sais pas. Ce dont je me souviens, au-delà de ces images marquantes, c’est du silence assourdissant qui régnait en ce lieu et de cet enfant que nous avons accompagné du mieux possible.

Puis chacun s’en est allé. Avec la collègue, nous sommes allés au premier troquet. Genre vieux PMU où les accents puent l’alcool à plein nez. C’était quoi cette putain de journée ?!

Nous vivons dans nos métiers des moments de grâce, des petites victoires qu’il s’agit de cultiver. Et d’autres moments plus trash qui constituent, aussi, le quotidien d’une relation d’aide et d’accompagnement. Le soir, nous rentrons à la maison et nous rencontrons parfois des difficultés à raconter notre journée, notre réalité, notre métier. Il faut encaisser.

Ce jour-là, j’étais content de ne pas être seul. Parce que ce jour-là, c’est par un froid matin d’hiver dégueulasse qu’il a enterré sa mère.