Machines de guerre

Carte blanche aux tribulations d’une assistante sociale de rue 

Machines de guerre

A bien s’y intéresser, sur notre territoire, de nombreuses batailles (1) sont en cours, certaines se tarissent, d’autres se poursuivent quand plusieurs se durcissent. Comme dans toute guerre, des soldats sont envoyés au sein même de ces conflits pour tenter de les résorber.

Ainsi, dans la lutte contre la précarité, de quelque nature qu’elle soit, de nombreux fantassins sont enrôlés puis positionnés sur des secteurs clés (2). Parmi eux, quelques-uns arpentent le pavé afin d’apporter une reconnaissance de l’autre, de recueillir une parole, d’écouter des doléances, d’entendre des souffrances, d’essayer d’en démêler les nœuds pour amener vers la formulation d’une demande. Celle-ci n’est pas forcément celle que les généraux attendent : (re)trouver un baraquement pour s’y reposer. En effet, elle peut parfois simplement consister à obtenir la localisation de l’infirmerie la plus proche pour s’y voir prodiguer des soins urgents ou accéder au mess (3) pour s’y restaurer.

Ensuite, dans le combat de la veille sociale, une sortie de rue n’équivaut jamais à un traité de paix. Effectivement, pour une sortie de rue, des centaines de personnes la découvrent pour la première fois, quand d’autres attendent patiemment et que certaines s’y oublient ou s’y fondent. La tâche est donc colossale, d’autant plus lorsque l’ennemi prend un malin plaisir à réduire en cendres les lieux d’accueil.

Dans cette logique, des garnisons, qui pourraient parfois s’apparenter à des milices, sont débarquées sur un territoire délimité et restreint en un terrain qui n’est autre que la rue. Ce type d’escadron précis est envoyé en première ligne, sur le front et doit intervenir dans un champ de bataille miné politiquement.

En parallèle, telle une garnison bloquée dans une tranchée qui subit des attaques répétées, quelques-uns de ses soldats préfèrent accepter la défaite, voire leur anéantissement et ne mettent plus d’énergie au combat. D’autres, face à la fatalité de leur éradication, redoublent d’efforts, remettent leur armure, rechargent leurs munitions pour lancer un nouvel assaut. Ils revoient donc leurs stratégies et définissent de nouvelles tactiques de déploiement et de siège. Ce type d’élan peut se régénérer, toutefois si aucun général ne rappelle ses troupes au repos, chacun des soldats peut se retrouver terrasser par un bombardement interne. Le surmenage, l’urgence, la répétition des attaques, le manque de sommeil et donc de réflexion peut mener tout officier, peu importe son grade, à l’implosion.

Voilà pourquoi, dans ce corps armé bien huilé, régulièrement de simples soldats deviennent lieutenants ou capitaines et s’éloignent, de fait, des zones de combats pour diriger, depuis le quartier général, leur régiment.

Par ailleurs, bien qu’au recrutement les francs-tireurs soient recherchés et salués pour leur bravoure, ils peuvent rapidement mettre en difficulté un lieutenant et son capitaine lorsqu’ils se revendiquent objecteurs de conscience. L’invasion n’est plus extérieure mais au sien de leurs propres rangs, où l’uniforme commence à gratter, à rétrécir pour éventuellement devenir insupportable.

Ici, un mouvement de désaffection, qui pourrait s’affilier à une forme de désertion du corps armé, deviendrait une réelle offensive interne à la lutte contre la précarité. Cet état ne peut que provoquer la perte d’un soldat, qui pourtant slalomait entre de nombreux missiles depuis des heures. Puis, parfois, le rapport balistique, concernant l’effondrement de ce fantassin, n’est pas remonté aux instances supérieures et mis de côté. Cela favorise donc la poursuite d’un fonctionnement dysfonctionnel, s’apparentant à un embargo.

A l’évidence, les travailleurs sociaux ne sont pas des machines de guerre que le Maréchal peut envoyer au front sans considération. Alors à affronter trop de conflits, il ne faudrait pas oublier que le tireur d’élite a besoin de conditions optimales pour atteindre sa cible.

(1) Criminalité en hausse, écologie, égalité hommes / femmes, féminicides, augmentation de la violence, précarisation, flux migratoires, société faite par et pour les multimillionnaires, etc.
(2) Services sociaux de proximité, le handicap, la vieillesse, la protection de l’enfance, les soins, l’insertion économique, l’hébergement/logement et la veille sociale.
(3) Dictionnaire Le Robert : « Lieu où se réunissent les officiers ou les sous-officiers d'une même unité, pour prendre leur repas en commun. »