Je suis pas conquente
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dans Carte blanche à
Le billet de la Plume Noire
Je suis pas conquente
François Durand, éducateur spécialisé de son état, vient de se prendre une claque. Littérallement. L’auteur du geste ? Une autrice. Un petit bout d’à peine trois ans. Une claque sans réelle force, mais donnée avec suffisamment de conviction et d’énergie pour atteindre son but et sonner quelque peu l’éducateur.
Louna est accueillie au sein de la MECS depuis une grosse semaine. Il est vaguement question d’un père absent et d’une mère un rien alcoolique et certainement prostituée. Il se raconte que la petite a vu des choses qu’elle ne devait pas voir et, même si l’on n’en est pas certain, cela alimente les conversations. Quoi qu’il en soit, du jour au lendemain, Louna s’est trouvée séparée de sa mère, au milieu de sept autres enfants qu’elle ne connait pas et avec cinq adultes qui se succèdent quotidiennement dans une ronde qu’elle a du mal à comprendre et à laquelle elle doit s’adapter.
Ce matin, c’est ce grand gaillard qui s’est présenté à elle. Il a eu l’outrecuidance de la réveiller et de mettre fin à son rêve dans lequel elle était au parc avec sa mère. Ensuite, il semblerait qu’il soit reparti pour continuer de réveiller les autres.
Quand il est revenu, elle s’était presque rendormie. Il a insisté pour qu’elle se lève, puis a ouvert les volets, laissant la lumière du jour pénétrer la pièce. Elle s’est assise sur son lit, les jambes et le regard dans le vide. Il s’est accrouppi face à elle pour se mettre à sa hauteur et lui a demandé de se préparer. Là, elle l’a giflé.
C’est incroyable tout ce qui peut passer par la tête en un dixième de seconde. François repense à ce formateur qui leur avait dit, à lui et aux autres étudiants :« lorsque vous vous faites insulter ou frapper, qui reçoit le coup ou l’insulte ? La personne ou le professionnel ? » Nombreux, parce que c’est ce qu’il convenait de répondre, s’étaient exclamés « Le professionnel. » « Foutaises ! Ça, c'est ce que vous vous racontez ! », avait asséné le formateur. « C’est la personne qui reçoit. Mais c’est bien ce que va en faire cette personne qui détermine si la réponse sera ou non professionnelle. Et tant que vous considérerez que vous n’êtes pas payés pour vous faire insulter ou frappe,r vous resterez au niveau de la personne et ne deviendrez jamais professionnels. »
Effectivement, ce formateur avait raison. La gifle, c’est François la personne qui l’a reçue. Toujours dans ce dixième de seconde, il estime que s’il réagit à l’estomac, alors la personne prendra le dessus. Il laisse ses émotions remonter de l’estomac au cerveau puis, un rien tendu mais veillant à s’apaiser, déclare , « écoute Louna, je peux comprendre que tu estimes injuste d’être ici et que tu préfèrerais avoir ta maman à tes côtés. Tu as certainement de bonnes raisons d’être en colère. Qui ne serait pas mécontent d’être placé en foyer ? Mais essaie de le dire avec des mots et non en frappant. Dis-le si tu n’es pas contente. »
Par la suite, il est arrivé que dès le lever Louna énonce avec fermeté « Je suis pas conquente. » et tout le monde, demeurant attentif et aux aguets, la laisse en paix.
(1) Maison d’Enfants à Caractère Social