Clochard, va !
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dans Carte blanche à
Le billet de Ludwig
« Clochard, va ! »
Me voilà retourné pour un temps en MECS. C’est important de ne pas perdre de vue le terrain et la pratique, quand on est passé du côté formation. Cela permet de se confronter à nouveau aux réalités et d’arpenter de nouvelles fois les corridors du quotidien chers à Paul Fustier. Je le cite, quelquefois que certains étudiants ou collègues auraient envie de se plonger dans ses écrits. Parce que j’entends souvent « Paul qui ? », et les bras m’en tombent. Bref, mon propos n’est pas là, je pourrais faire la liste de tous nos mentors et références qui semblent tomber en désuétude dans les établissements de formation de travailleurs sociaux et les chez les pros, ces derniers surchargés à gérer l’urgence et l’administratif envahissant, ne permettant plus l’élaboration d’une quelconque pensée éducative. Bref, mon propos n’est pas là non plus.
Non, me voilà nez à nez avec une jeune en manque d’attachement qui me demande combien de temps je vais rester, tant le turn-over est important. Moi je fais des remplacements. Dans notre discussion, vient alors sa question.
- « T’es éduc depuis combien de temps, t’as toujours travaillé en foyer ? »
- « Oula, non, ça fait 20 piges et j’ai bossé avec plein de publics en difficultés, comme avec des réfugiés, des personnes SDF, ceux que l’on appelait clochards(..)
- « C’est quoi les clochards ? »
Bouche bée, l’interpellation et le naturel des enfants me surprendra toujours. C’est vrai, comment expliquer ce que sont les personnes dénommées « clochards » et quelle est l’origine de ce mot. J’ai dû le savoir dans le temps. A moins que je ne me sois jamais posé la question.
Les mots ne manquent pas pour désigner l’exclu : pauvre, clochard, vagabond, sans-abri, etc., et l’évolution des mots marquent son temps et ses époques. Le clochard serait alors la figure urbaine marginale héritée du 20ème siècle et tirerait son origine du latin cloppus : boiteux. L’étymologie quant à elle nous renvoie au verbe « clocher », du latin cloppicare : boiter. Intéressant pour dénommer les déviants, les marginaux, les différents qui ne « marchent pas droit », ceux qui sortent du droit chemin, s’en allant clopin-clopan, en marge de la société et popularisé dans le quartier des halles de Paris dans les années 1830 lors de l’écriture par Victor Hugo de « Notre dame de paris ». Une origine soit donc, très parisienne.
Une autre origine possible ou bien complémentaire serait liée à la cloche qui annonçait la fin des marchés. Au son de la cloche sortaient les indigents et les mendiants pour récupérer les invendus et se ruer vers les restes alimentaires. Du verbe « clocher » viendrait la dénomination de clochard.
Enfin, une troisième origine serait que les cloches, au 13e siècle, nécessitaient huit personnes pour actionner le balancement de la cloche. En retour, ces personnes, sans domicile fixe, recevaient un repas avant de repartir errer dans les rues. On les surnommait alors les « clochards ».
Le dictionnaire de l’académie Française, enfin, le définit aujourd’hui comme une « personne qui n’a ni domicile ni travail et qui vit d’expédients ». Le clochard, mot devenu un peu péjoratif, est généralement une personne sans-abri, victime d’une grande désocialisation, d'une exclusion du monde du travail et confronté à un état de solitude dans lequel l'alcoolisme peut agir à la fois comme moyen de réconfort mais aussi d'autodestruction. Il y a là une pathologie du lien, à soi-même, aux autres et au monde. Je vous conseille vivement l’ouvrage « Les naufragés », de Patrick Declerck, à ce sujet.
Voilà, c’était le moment formatif. Merci à cette jeune qui par ses interrogations m’a poussé dans les miennes.
Faites votre tri là-dedans. Peut-être que Marie, notre assistante sociale de rue préférée aura bien d’autres explications à nous donner ? Parce que moi, je sens qu’il y a quelque chose qui cloche…