Thémis

Le billet de la Plume noire

Thémis (1)

Précédemment dans Malik : Où l’on apprend que Malik, adolescent de quatorze ans et François Durand, éducateur spécialisé, sont convoqués au tribunal pour une affaire les concernant…

François Durand, éducateur spécialisé, a toujours apprécié les films de procès. Ces intrigues regardées devant un écran de cinéma ou de télévision représentent ses seules expériences avec le système judiciaire. Ainsi, en ce jour de convocation au tribunal, il est quelque peu surpris. Sa vision hollywoodienne de la justice est instantanément désacralisée. Ici, pas de long travelling arrière pour iconiser le protagoniste principal de l’histoire qui, tout en marchant et devisant avec son assistant le long d’un couloir, épluche méticuleusement un dossier en cours, montrant par là-même toute son implication, son engagement, sa foi en la justice et sa quête de vérité pour son client.

Dans le palais de justice, François n’est qu’un anonyme parmi les autres. Il comprend rapidement que l’affaire pour laquelle il est convoqué ne sera pas la seule à être traitée dans la matinée. De nombreuses personnes s’agglutinent sur les marches d’un immense escalier et dans la salle des pas perdus surplombée d’une immense voussure dont le sommet est une immense verrière par laquelle pénètre avec insolence la lumière du jour. Elle éclaire magistralement différents portraits sculptés dans les cinq caissons que divise la voussure. Des sages de la Grèce antique, des rois, des empereurs, des hommes politiques et leurs conseillers. Au milieu de tous, François reconnait Napoléon Bonaparte. Dans sa main le Code civil autrement appelé le Code Napoléon 1er. De toute la grandeur des siècles passés, ces hommes regardent la piétaille venue aujourd’hui à la rencontre de cette grande dame qu’est la justice. Sur la voussure figurent également les qualités requises pour œuvrer en tant que magistrat ; « La force, l’équité, la raison, le droit, la liberté, l’autorité, la vérité et l’éloquence. » Ecrire les valeurs sur les murs, c’est gage qu’elles seront respectées. Il en manque cependant au moins une, estime l’éducateur, l’humilité. Elle est cruellement absente dans et sur les murs de ce somptueux palais. La justice dans sa fonction suprême n’a-t-elle pas pour fonction de tenir l’humanité debout afin qu’elle puisse, après s’en être remise au verdict du Glaive et de la Balance, relever la tête ?

Là, pour la plupart, écrasés par tout le faste et le luxe qui les entourent, les gens courbent l’échine. François Durand ne saurait discerner les victimes des bourreaux. Tous, pauvres gueux, apparaissent coupables d’oser déranger dans toute sa magnificence la grande Thémis (1). Les lieux sont là pour le leur rappeler. Et pour qu’ils n’oublient pas, tout ce beau monde est convoqué à la même heure, huit heures du matin. La Déesse ne s’embarrasse pas à planifier des rendez-vous et nul ne sait vraiment quand il devra se présenter à la barre.

François est accompagné de Malik, l’adolescent qui deux ans auparavant l’a frappé au visage, de son collègue Jérôme Cabriole, témoin de la scène, et de la Directrice de la Maison d’enfants à caractère social. Aujourd’hui, François et Malik sont en paix l’un avec l’autre. Pour eux, l’histoire est réglée. Mais, plainte a été déposée par l’éducateur et la justice demande des comptes. Trois heures qu’ils attendent quand ils entendent leurs noms. Ils pénètrent par une grande porte dans une salle non moins grande. Le juge, visage fermé, rigide dans sa toge noire, les accueille avec fermeté et emphase.

Subrepticement, François et Malik se jettent un dernier regard qui témoigne de leur inquiétude respective. Tous deux espèrent trouver la même humanité dans les yeux du magistrat…

 

(1) Déesse de la justice