Vigier Yvan - Contrats Educatifs Locaux

« Elaborer en commun un projet partagé : c’est la voie de l’avenir »

Yvan Vigier est fonctionnaire territorial dans le secteur culturel, puis de l’éducation. Détaché comme conseiller technique au cabinet de la ministre de la Jeunesse et des Sports de 1999 à 2002.

Pouvez-vous nous expliquer les circonstances qui ont présidé  à l’élaboration des Contrats éducatifs locaux ?

Yvan Vigier : Les racines des Contrats éducatifs locaux sont doubles. Il y a, d’une part, les dispositifs d’aménagement des rythmes de vie de l’enfant, proposés conjointement par  Jeunesse et Sport et l’Education nationale. La première circulaire Calmat-Chevènement, préconisant cette politique, date de 1984. Elle a été poursuivie en 1988, par la circulaire Bambuck-Jospin. La circulaire Bayrou-Drut-Blazy a confirmé cette orientation en 1995, en lançant  le Contrat aménagement des rythmes de vie des enfants et des jeunes (CARVEJ). Parallèlement, et c’est là la deuxième racine des CEL, il y a eu volonté de l’Etat, dans la continuité de la décentralisation, de mettre en place une  politique de contractualisation avec les collectivités territoriales, mais aussi avec les associations et les partenaires  locaux. C’est dans ce contexte, que les différents cabinets des ministères de la Jeunesse et des sports, de l’Education nationale, de la Culture et de la Ville ont travaillé en commun, pendant un an, aboutissant à la circulaire du 9 juillet 1998. Ce texte définit des objectifs nationaux suffisamment larges, pour ne pas  freiner l’initiative et les capacités d’innovation des acteurs de terrain. Mais il donne aussi des règles de procédure, ce qui n’était pas forcément le cas dans les dispositifs précédents.   Il y a là une forte volonté d’être dans un partenariat vraiment élargi tant au niveau national, départemental que local, de façon à ce que tous les acteurs éducatifs se retrouvent ,autour de la table, pour traiter la question centrale : l’aménagement des temps des enfants.

 

Le CEL est-il en avance, en retard ou correspond-il à une certaine maturité des différents secteurs qui gravitent autour de l’éducation de l’enfant ?

Yvan Vigier : Je pense que le CEL est arrivé à point nommé pour donner du souffle et une utile clarification institutionnelle. De nombreuses expérimentations avaient eu lieu. Ce qui manquait, c’était une initiative  fédératrice venant donner corps à tout ce qui se déroulait sur le terrain. Nous étions, par ailleurs, arrivés à une certaine maturité des acteurs locaux après les lois de décentralisation. Cela n’a pas été forcément facile pour les services de l’Etat de s’adapter face à des collectivités  détentrices de compétences nouvelles, de moyens importants et souhaitant prendre toute leur place. Le fruit était mûr pour arriver à un partenariat bien pensé, avec des acteurs dont la voix portait à un même niveau. Il était évident à tout le monde, que l’articulation avec les temps scolaires était  indispensable sinon on ne pouvait pas parler de continuité éducative. Mais, les maires et les élus avaient besoin d’y voir plus clair face à tous les dispositifs qui s’étaient empilés, au cours du temps. Les fédérations d’éducation populaire, de leur côté s’étaient déjà bien engagées dans les dispositifs précédents. La ligue de l’enseignement, les PEP, les Cemea, les Francas ... se sont, toutes, très fortement engagées dans les politiques contractuelles. Les CEL sont le fruit de toute cette conjonction. Ils sont  arrivés au bon moment pour proposer de globaliser tout ce qui existait déjà.

 

Les pouvoirs de décision et de financement sont très dispersés dans notre pays. Travailler à une collaboration entre différents partenaires, c’est se heurter aux enjeux de pouvoir. Ces manifestations ne constituent-elles pas l’une des principales sources de dysfonctionnement  de ce partenariat ?

Yvan Vigier : Ce dispositif a  été conçu pour que l’on puisse travailler dans un partenariat large et que tous les intervenants agissent en complémentarité. Pour la  première fois, les conditions ont été  crées au niveau national pour  éviter les blocages et les querelles de territoire.  Cependant, les situations sont vraiment très contrastées d’un département à l’autre. On peut proposer tous les dispositifs que l’on veut, après cela dépend beaucoup des personnes chargées de les mener à bien. Il suffit que sur un territoire donné, les services de l’Etat ne s’entendent pas avec la Caf ou qu’ils ne soient pas particulièrement fans de la contractualisation avec les collectivités, préférant le faire directement avec les associations, pour que cela bloque. Mais, on peut comparer avec la décentralisation qui a aussi provoqué beaucoup de résistance, parce que cela représentait une certaine perte de pouvoir. Et puis, cela s’est fait progressivement. Quand on réunit les partenaires autour de la table, la première fois, ils mettent en avant des logiques de secteur et cherchent avant tout à défendre leurs prérogatives et faire en sorte que personne ne marche sur leurs plates-bandes respectives. Mais, quand on commence à parler d’actions concrètes, d’éducatif, d’ambitions éducatives, de continuité éducative, on se rend compte très vite, qu’on a des préoccupations communes. Puis,  dans la durée, à force de développer des pratiques de partenariat, on arrive à une maturité et à une culture commune. C’est en avançant, qu’on peut dépasser tous ces clivages : les gens prennent l’habitude de travailler ensemble.

 

Y a-t-il eu d’autres réticences à la mise en place des CEL ?

Yvan Vigier : Quand les CEL ont été conçus, nous sortions du plan Guy Drut qui avait été perçu comme une intrusion de Jeunesse et Sports  au sein même de l’école. Il a semblé bon alors que soient  reprécisés les découpages de compétences entre les différents ministères. C’est pourquoi, les contrats éducatifs locaux  incluent dans  leur champ d’intervention, les temps extrascolaires et périscolaires, mais pas le temps scolaire proprement dit, même s’ils prévoient une articulation entre ces différents temps.  Il s’agissait également de répondre à l’inquiétude de certains enseignants qui craignaient que les CEL soient l’un des éléments d’une municipalisation rampante de l’éducation. Malgré les efforts de clarification, ces craintes n’ont pas totalement disparu, certains étant encore dans l’idée que la ville se mêle de ce qui ne la regarde pas. Nous avions créé un niveau où les échanges avec les syndicats d’enseignants, les associations, la Caf, tous les partenaires pouvaient rassurer : le groupe de suivi interministériel. Je ne sais pas où il en est à présent. Il y a eu aussi une volonté de compensation des inégalités qui n’a pas forcément été bien perçue, au départ, sur le terrain.

 

Comment les enseignants ont-ils perçu les CEL ?

Yvan Vigier : Nous avons eu un gros malentendu avec certains syndicats d’enseignants qui a amené au blocage total de la mise en place des CEL en Seine Saint Denis, par exemple. Ce qui était critiqué, c’était qu’à partir du moment où une commune avait les moyens, elle pouvait contractualiser avec l’Etat, puisque cela va lui apporter des financements. Par contre, les communes ne possédant pas de ressources fiscales importantes et ayant des populations en situation de précarité, ne pouvaient signer, car elles n’avaient pas les moyens d’engager des moyens dans une politique ambitieuse. Ceux qui avaient déjà beaucoup, en auraient donc encore plus. La circulaire de 2000 a précisé que la politique de l’Etat étant de mettre beaucoup de moyens là où il y en avait peu, il y aurait une péréquation à partir des potentiels fiscaux, une modulation des aides financières qui serait fonction des ratios fiscaux. La volonté existait dès 1998, mais elle n’avait pas été clairement traduite dans les textes.  D’ailleurs, cette circulaire de 2000 est un excellent exemple de prise en compte des  remontées critiques provenant du terrain, notamment grâce aux questionnaires renseignés par les DDJS afin de permettre aux ministères impliqués dans les CEL de dresser chaque année un bilan de leur mise en œuvre. Elle a ainsi pu compléter utilement la circulaire de 1998, en prenant en compte les conditions réelles de sa traduction pratique.  Pour moi, c’est d’abord comme cela que l’Etat doit dialoguer avec les acteurs locaux : donner des orientations politiques claires, attribuer les moyens correspondants, adapter les modalités d’application aux réalités du terrain.

 

Quel avenir pour le CEL ?

Yvan Vigier : Luc Ferry et Jean François Lamour ont rappelé, dans diverses circulaires, que les CEL étaient une priorité. L’ensemble des maires de France, toutes tendances confondus, les ont validés, par leur engagement quotidien. La pertinence de ce dispositif est donc reconnue. Dans le même temps, les financements ont été réduits l’année dernière et ils ne vont pas être en augmentation cette année, sans parler des gels et des régulations budgétaires. Les directions départementales sont actuellement étranglées et ne sont plus en capacité de suivre de nouveaux projets. Elles ont à peine les moyens de conforter ceux qui existent. On est en train de confirmer le dispositif dans le discours mais de le déshabiller dans les moyens. A terme, cette politique risque de disparaître par manque de ressources financières. Vont s’y substituer les seules interventions de la Caf dans le cadre des contrats enfance ou temps libres. La Caf est partenaire des collectivités locales depuis des années, et les accompagne pour conduire une politique d’action sociale globale et concertée en faveur de l'accueil des enfants de 0 à 6 ans (Contrat Enfance), du temps libre des enfants et des adolescents de 6 à 18 ans (Contrat Temps Libres).  Toutefois, les projets qu’elle contribue à monter sont sur des problématiques complémentaires de ceux des CEL,  excluant, par exemple, la culture (quand  les actions sont conduites par des structures spécialisées et sortent de la simple sensibilisation) et le sport. En signant à la fois un contrat temps libre et un CEL, on arrivait à couvrir tout le champ. A présent, on risque d’être amputé de toute une partie des interventions. Il y a donc une inquiétude très, très forte. Certaines municipalités, s’apercevant que les gisements de l’Etat se sont épuisés, ne veulent pas suivre. C’est vraiment bien dommage. Pour autant, si on ne tient pas compte de ce contexte défavorable, les CEL ne sont pas l’étape finale mais une étape supplémentaire qui renforce  un processus. Il y a  encore, à mon avis, des marches à franchir, pour améliorer les conditions du partenariat, pour renforcer la complémentarité des différents intervenants et pour avoir une démarche qui s’applique à l’ensemble du territoire national. Dès lors qu’il y a plusieurs partenaires concernés par l’éducation, je ne vois pas comment on pourrait faire l’économie très longtemps, que les gens se réunissent et élaborent conjointement un projet partagé. Pour moi, c’est incontournable. Je pense qu’à terme, c’est la bonne voie.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal de L’Animation  ■ n°45 ■ janv 2004