Moutet François - Pen Bron
« Offrir la palette la plus large possible de propositions »
François Moutet est médecin et Directeur médical du Centre marin de Pen Bron
Pourquoi avoir choisi de confier la gestion de votre hôtel au secteur privé lucratif ? N’est-ce pas lui mettre le pied à l’étrier, à un moment où il cherche à percer dans le médico-social ?
François Moutet : L’objectif que nous recherchons, c’est que la personne handicapée accède à l’autonomie non seulement au niveau de ses fonctions, mais aussi de sa décision. Dès lors où elle bénéficie de revenus qui lui sont propres et d’un statut de citoyen à part entière, elle est tout à fait en droit de choisir elle-même son mode de loisirs. Elle est à même de gérer sa vie et son propre argent comme bon lui semble. C’est de sa responsabilité individuelle de décider de s’adresser soit au secteur sanitaire et médico-social soit au privé qui a tout à fait sa place dans le panel des possibilités qui lui sont offertes. Je suis tout à fait convaincu que l’articulation entre le public, le semi-public et le privé fait toute la richesse d’une société. Notre conviction est que la personne handicapée doit aller de la dimension sanitaire hospitalière vers le retour à une vie la plus ordinaire possible. En tant que directeur d’un établissement de rééducation fonctionnelle, mon plus grand désir c’est qu’elle n’ait plus besoin de nous. Si cela doit passer par la fréquentation d’établissements privés, cela me semble positif. Un autre aspect qui n’est pas négligeable, c’est la participation à la gestion plus globale des dépenses de santé. Si l’on sait que les coûts en la matière seront, de toute façon, de plus en plus importants, du fait de l’accroissement de la technicité médicale et du vieillissement de la population, cela n’empêche pas de sortir quelqu’un de l’assistanat et de l’aide sociale, dispositifs qui sont par ailleurs tout à fait légitimes mais qui peuvent s’interrompre si la personne n’en a plus besoin. Dès lors, que les gens sont devenus plus autonomes, il est tout à fait normal d’imaginer que leurs vacances ne rentrent plus dans des considérations de sécurité sociale. Accéder à l’autonomie implique d’en accepter les contraintes. Cela implique le retour dans le régime commun. La personne handicapée peut dès lors redevenir un acteur économique ordinaire : au même titre qu’une autre personne, elle va à l’hôtel et paie pour cela. Et puis, c’est aussi la demande de certaines personnes qui aspirent elles-mêmes à vivre en dehors des systèmes d’aide sociale. Il ne faut pas négliger l’effet positif de cette revendication. Ce sont tous ces arguments qui nous ont fait décider de ce projet. Ensuite, l’option de travailler sur l’axe des loisirs est aussi beaucoup liée au site exceptionnel de Pen Bron qui fait plutôt rêver ...
Justement, la proximité de l’hôtel de Pen Bron avec le centre de rééducation fonctionnelle ne va-t-elle pas faire hésiter certains clients qui ne vont pas trop avoir envie de se trouver entourés de malades ?
François Moutet : La loi oblige les hôtels à avoir des chambres adaptées pour handicapés. Quand on a un handicap léger, cela ne pose pas trop de problèmes, mais lorsqu’on a un handicap lourd, c’est une autre affaire. On voit arriver des personnes qui rencontrent des problèmes de stabilisation fonctionnelle : certaines sont en fauteuil électrique, d’autres ont des trachéotomies ou des situations de fonction urinaire ou de problèmes cutanés un peu limites. Elles savent qu’à côté, il y a un centre qui, en cas d’urgence, peut intervenir. Elles peuvent venir ici, en toute sécurité. Attention, il n’est pas question que le centre hospitalier joue un rôle actif dans la gestion humaine de l’hôtel. Mais cette proximité est rassurante. D’autre personnes qui ont par exemple une démarche ébrieuse ou des troubles de l’équilibre ou encore des expectorations, toutes choses difficiles à comprendre quand on ne connaît pas le problème, recherchent un endroit où non seulement elles seront sécurisées, mais surtout où elles ne seront pas regardées comme des bêtes curieuses. C’est ce public qui est potentiellement intéressé. Les réservations qui commencent à arriver correspondent d’ailleurs à notre attente. La solution que ces personnes trouvent ici, elles ne la trouvent pas beaucoup ailleurs.
Quel accueil avez-vous eu au niveau de la part des associations du secteur du handicap ?
François Moutet : Cela a posé question. Certains nous ont reproché de leur faire concurrence. Je réponds que personne n’a l’exclusivité de proposer des solutions pour les personnes handicapées. Nous avons monté ce projet. D’autres peuvent voir le jour qui seront tout à fait complémentaires. D’autres nous ont carrément accusés de vouloir faire de l’argent sur le dos des handicapés. Personne n’est contraint à venir dans cet hôtel. Inversement, pourquoi faudrait-il priver d’emblée de toute possibilité de le fréquenter ? Je pense que les personnes handicapées doivent pouvoir décider par elles-mêmes de leur mode de loisirs. Le fait que les réservations arrivent montre bien qu’il y avait un grand vide auquel nous avons répondu. Autre critique : nous créerions un ghetto. Je constate que cet hôtel ne fait pas fuir les valides : le restaurant est plein. L’organisation de la vie de l’hôtel sur un mode beaucoup plus lent et moins stressé qu’à la normale pourrait même être une très bonne raison pour y venir, même quand on n’est pas handicapé.
Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°673 ■ 10/07/2003