Johannesen Tom - Mondialisation
Face à la mondialisation, réaffirmer les valeurs humanistes
Tom Johannesen est secrétaire général de la Fédération Internationale des travailleurs sociaux. Dans le contexte actuel des transformations globales qui affectent les institutions sociales, les économies et les technologies, la Fédération Internationale des travailleurs sociaux (FITS) s’est fixé pour objectif d’entraîner la profession de travailleur social vers un engagement actif et la participation des citoyens à l’échelle locale, nationale et globale.
Qu’est-ce que la FITS?
Tom Johannesen : Notre association a été créée en 1956. Elle fédère les associations de 77 pays et représente 450.000 professionnels. Nous sommes présents en Amérique, en Australie, pays qui accueillera notre prochain congrès international (1). Mais la FITS n’est pas une association uniquement anglophone. Nous existons aussi en Afrique, en Asie et dans le monde francophone qui a beaucoup fait pour le travail social, en France bien sûr mais aussi au Québec. Notre vocation étant de représenter les travailleurs sociaux sur toute la planète, nous collaborons avec des organismes internationaux, comme l’ONU qui investit dans de nombreux programmes de développement social et de promotion des droits humains. Nous travaillons actuellement avec cette organisation sur la place des réfugiés dans le monde et les déplacements de population… Les axes essentiels de notre action concernent les questions fondamentales, le noyau, l’essence même du travail social. Ainsi, en 2002, nous avons adopté une définition internationale du travail social. Nous avons également produit des documents sur l’éthique et la déontologie dont doivent nécessairement se doter toutes les organisations de travailleurs sociaux sur la planète. Nous travaillons actuellement à la création de normes internationales de qualité pour l'éducation et la formation en travail social.
Quel est le regard que vous portez sur l’évolution de la société au niveau mondial ?
Tom Johannesen : On ne peut répondre de façon simple à cette question. Si l’on compare l’état des sociétés aujourd’hui avec ce qui se passait au début du siècle dernier, on constate qu’il y a moins de pauvreté, qu’elles sont globalement moins autoritaires et qu’il existe un meilleur niveau d’éducation et de soins. Pour autant, en creux, l’individualisme s’est développé de façon très importante. Nous avons moins de liens intergénérationnels mais aussi moins de proximité. Le sentiment d’appartenance à la communauté des humains est plus faible notamment à l’égard de ceux qui nous sont différents. Les valeurs de la communauté sont dépréciées au point que de nombreuses personnes n’ont plus conscience de tout ce qu'elles peuvent apporter. Nous devons aider à une prise de conscience que nous partageons la planète avec les autres. Cela se décline dans de multiples directions. Il y a le partage des ressources au plan économique bien sûr, mais il y a aussi l’accès au savoir, l’accès aux besoins vitaux : se nourrir, se loger, disposer de l’eau nécessaire… Nous critiquons une large part de la globalisation (mondialisation). Pour autant, tout n’est pas négatif. Ainsi, l’utilisation des nouvelles technologies qui permet aux hommes de tisser de nouveaux liens est intéressante. La globalisation est réalisée par les hommes. Les choix qui sont faits ne sont donc pas une fatalité.
... et sur l’évolution de la question sociale ?
Tom Johannesen : Nous constatons que, du fait des orientations liées à cette globalisation, la quasi-totalité des pays développés met sous pression ses systèmes de protection sociale. Les travailleurs sociaux sont en première ligne : il leur est demandé d’accompagner cette évolution, ce qui les met en en difficulté. La question est de savoir si la société civile est un village ou un marché. Ce sont les deux modèles qui s’opposent. Les valeurs du village sont le partage des ressources, la solidarité humaine et la dimension collective. Le marché favorise l’individualisme, réduit l’homme à un consommateur de produits et de services. Sans compter que le marché est aussi une course au profit qui ne profite pas à tous, loin de là… Les professionnels sont face à un défi qu’ils doivent relever dans au moins deux directions. Ils doivent d’abord être capables de communiquer la connaissance qu’ils ont de la réalité vécue par la population auprès de la classe politique, des médias et du public en général. En fait, il nous faut influer sur le développement de la société en partageant ce que nous savons. Il s’agit ensuite de travailler auprès de la population et des personnes afin qu’elles puissent diriger leur propre vie, leur rappeler que leurs valeurs sont respectables et qu’ils sont capables de faire quelque chose de leur existence malgré des contextes parfois très difficiles. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le travail d’un assistant social dans le 8ème arrondissement de Paris ou dans un village africain n’est pas si éloigné que cela. Même s’ils interviennent de façons différentes parce qu’ils ne sont pas dans le même contexte, au final, ils font la même chose.
(1) "Le travail social dans sa globalité : Reconstruire une société civile", Adélaide (Australie) du 2 au 6 Octobre 2004. Le prochain congrès international pour l’Europe aura lieu quant à lui en mai 2005
Propos traduits par Anne-Marie Martinez, mis en forme Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°678 ■ 18/09/2003