Maruéjouls Edith - Egalité filles garçons
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dans Interviews
Titulaire d’un doctorat en géographie du genre, Edith Maruéjouls est experte en politiques jeunesse, en lien avec celles de la ville. Elle nous propose de mettre en lumière les stéréotypes sexués, le sexisme et les inégalités réelles qui en découlent, non seulement dans la société française mais avant tout dans les pratiques quotidiennes des espaces de loisirs destinés aux enfants et aux jeunes.
Quelle perception avez-vous de la gestion de la mixité dans le monde de l’ animation ?
Edith Maruéjouls : Ce n’est pas simplement une perception que je peux vous proposer, mais le résultat d’une recherche issue de ma thèse de doctorat intitulée « mixité, égalité et genre dans l’espace de loisirs des jeunes ». Je me suis interrogée sur ce que pouvaient vivre les filles et les garçons, dans leurs loisirs, quand elles/ils sortent de l’école ou du collège. Je me suis plus particulièrement intéressée à trois secteurs : celui des sports, celui des activités artistiques et culturelles et enfin celui des maisons de jeunes. Le constat est clair : si, dans les accueils collectifs pour mineurs, la règle jusqu’à 12 ans c’est la mixité, au-delà, la norme est bien la non-mixité. Et encore, lorsque le public est mélangé, les activités proposées, elles, ne le sont pas.
Les activités proposées aux enfants et aux jeunes ne seraient donc pas neutres, mais orientées selon le genre ?
Edith Maruéjouls : il ne s’agit pas tant de rechercher la neutralité que de combattre les stéréotypes de genre. Quand on propose, par exemple, une activité « couture », les garçons vont considérer que ce n’est pas pour eux. Si l’on annonce des activités « carnaval » ou « fabrication de costume », ils s’autoriseront peut-être à s’y inscrire. La question est bien de savoir comment présenter les animations, afin de favoriser la participation de toutes et de tous, sans provoquer des réflexes en fonction de l’appartenance sexuée. Il en va de même pour « jeux de balles » plutôt que « foot » ou encore « développement corporel » plutôt que « danse ».
La nature du travail mené selon que l'on est animateur ou animatrice est-elle identique ?
Edith Maruéjouls : le travail dans l’animation, que l’on soit homme ou femme, répond aux mêmes exigences de respect de normes de sécurité, de méthodologie et de pédagogie. Chacun(e) développe ensuite des appétences propres pour telle ou telle spécialité ou technique sportive, culturelle, manuelle. L’important est bien plus dans l’objectif éducatif que l’on fixe à ces activités et plus précisément l’intention implicite ou explicite d’ignorer ou de conforter les stéréotypes de genre ou encore de les combattre consciemment et surtout sciemment. Là aussi, on peut reprendre des exemples simples. C’est d’abord, peut-être, le soin apporté à constituer des binômes mixtes, en évitant de privilégier les animateurs garçons auprès des adolescent(e)s au prétexte qu’ils se montreraient plus compétents en matière d’autorité et les animatrices filles auprès des petits, car elle se seraient plus maternantes. Il en va, tout autant, pour la menée des animations, en n’affectant pas systématiquement un animateur à l’activité foot et une animatrice à l’activité cuisine, mais en proposant une alternative de pensée aux enfants et aux jeunes. Cela nécessite de s’interroger sur ce qui va motiver son public : est-ce le contenu de ce qui est proposé ou le genre de l’adulte qui l’anime ? Comment va réagir le groupe ? Va-t-il préférer suivre son animateur/trice préféré(e) ou choisir à partir de l’animation programmée. Cela me semble essentiel de casser l’idée reçue voulant que tel domaine serait, par nature ou par essence, dédié au masculin ou au féminin.
Mesure-t-on l’impact de ces préjugés sur le terrain ?
Edith Maruéjouls : c’est ce que j’ai abordé dans ma recherche. Mon raisonnement était simple. Si un hôpital devait être fréquenté par 90 % d’hommes, on s’interrogerait sur les raisons pour lesquelles les femmes n’ont pas accès aux soins. Je me suis posé la même question pour l’accès aux loisirs qui, financés par l’impôt, renvoie aux principes républicains et démocratiques d’égalité de droits. Les résultats sont sans équivoques. Pour ce qui est des disciplines sportives, il y a un déficit dans l’offre : non seulement les équipes sont ouvertes soit aux filles, soit aux garçons, mais il y a bien moins d’équipes féminines : le rapport féminin/ masculin est de 30%/70%. Pour ce qui est du secteur artistique et culturel, l’offre est bien plus équilibrée. Mais, la répartition est basée sur le genre : il n’y a, par exemple, aucun garçon dans les clubs de danse. Pour ce qui est des maisons de jeunes, aucune distinction de sexe n’est affichée quant à l’accès aux lieux, mais la légitimité de la présence des filles n’est pas toujours validée. La parité peut donc masquer la non-mixité et la mixité peut masquer l’inégalité dans la fréquentation. Trop souvent, on retrouve la répartition genrée traditionnelle : l’espace public réservé aux garçons, les filles étant renvoyées vers l’espace privé.
Comment peut-on concrètement modifier cet état de fait ?
Edith Maruéjouls : en travaillant activement à faire reculer ces inégalités. Notre société s’est engagée dans une démarche d’égalité législative et d’égalité réelle. Mais on constate combien les résultats sont bien loin de répondre à cette ambition, que ce soit en matière économique (égalité des salaires homme/femmes), au sein des couples (participation aux tâches ménagères, par exemple), de vie sociale (présence dans la vie politique). Des progrès ont été accomplis. Mais, il reste beaucoup encore à faire. Et cela commence dès l’enfance. Dès lors où l’on se fixe pour objectifs de déconstruire les stéréotypes sexués, bien des actions peuvent être menées. Des modules spécifiques peuvent être programmés lors des formations initiales et continues. Ce que le CNFPT propose déjà, d’ailleurs. Les expertises existent et peuvent être sollicitées. Des programmes sont même financés par l’Europe qui est très sensible et en pointe sur ces questions d’égalité entre les sexes. Il est possible de monter des actions, en s’appuyant sur des partenariats locaux ou nationaux. Mais, il faut surtout faire confiance à l’intelligence collective des professionnels de terrain qui sont tout à fait capables d’une grande créativité, quand il s’agit d’imaginer des actions pour favoriser le vivre ensemble. Cela commence par le partage des tâches communes dès que les garçons ne veulent pas nettoyer la table du goûter et que les filles se proposent spontanément à le faire. Il ne s’agit pas de s’opposer aux normes de la famille, si celles-ci sont fondées sur le genre, mais de proposer d’autres valeurs. Cela a toujours été l’ambition de l’école républicaine de proposer une parole alternative. J’ai ainsi accompagné des enseignants, pendant cinq ans, dans une école maternelle. Les résultats ont été très intéressants : les petites filles se voyaient devenir camionneuse et les petits garçons puériculteur ! C’est comme lorsqu’on jette un petit caillou dans l’eau : les ondes successives qui se propagent sur la surface de l’eau peuvent aller très loin.
Quelle perception avez-vous de la gestion de la mixité dans le monde de l’ animation ?
Edith Maruéjouls : Ce n’est pas simplement une perception que je peux vous proposer, mais le résultat d’une recherche issue de ma thèse de doctorat intitulée « mixité, égalité et genre dans l’espace de loisirs des jeunes ». Je me suis interrogée sur ce que pouvaient vivre les filles et les garçons, dans leurs loisirs, quand elles/ils sortent de l’école ou du collège. Je me suis plus particulièrement intéressée à trois secteurs : celui des sports, celui des activités artistiques et culturelles et enfin celui des maisons de jeunes. Le constat est clair : si, dans les accueils collectifs pour mineurs, la règle jusqu’à 12 ans c’est la mixité, au-delà, la norme est bien la non-mixité. Et encore, lorsque le public est mélangé, les activités proposées, elles, ne le sont pas.
Les activités proposées aux enfants et aux jeunes ne seraient donc pas neutres, mais orientées selon le genre ?
Edith Maruéjouls : il ne s’agit pas tant de rechercher la neutralité que de combattre les stéréotypes de genre. Quand on propose, par exemple, une activité « couture », les garçons vont considérer que ce n’est pas pour eux. Si l’on annonce des activités « carnaval » ou « fabrication de costume », ils s’autoriseront peut-être à s’y inscrire. La question est bien de savoir comment présenter les animations, afin de favoriser la participation de toutes et de tous, sans provoquer des réflexes en fonction de l’appartenance sexuée. Il en va de même pour « jeux de balles » plutôt que « foot » ou encore « développement corporel » plutôt que « danse ».
La nature du travail mené selon que l'on est animateur ou animatrice est-elle identique ?
Edith Maruéjouls : le travail dans l’animation, que l’on soit homme ou femme, répond aux mêmes exigences de respect de normes de sécurité, de méthodologie et de pédagogie. Chacun(e) développe ensuite des appétences propres pour telle ou telle spécialité ou technique sportive, culturelle, manuelle. L’important est bien plus dans l’objectif éducatif que l’on fixe à ces activités et plus précisément l’intention implicite ou explicite d’ignorer ou de conforter les stéréotypes de genre ou encore de les combattre consciemment et surtout sciemment. Là aussi, on peut reprendre des exemples simples. C’est d’abord, peut-être, le soin apporté à constituer des binômes mixtes, en évitant de privilégier les animateurs garçons auprès des adolescent(e)s au prétexte qu’ils se montreraient plus compétents en matière d’autorité et les animatrices filles auprès des petits, car elle se seraient plus maternantes. Il en va, tout autant, pour la menée des animations, en n’affectant pas systématiquement un animateur à l’activité foot et une animatrice à l’activité cuisine, mais en proposant une alternative de pensée aux enfants et aux jeunes. Cela nécessite de s’interroger sur ce qui va motiver son public : est-ce le contenu de ce qui est proposé ou le genre de l’adulte qui l’anime ? Comment va réagir le groupe ? Va-t-il préférer suivre son animateur/trice préféré(e) ou choisir à partir de l’animation programmée. Cela me semble essentiel de casser l’idée reçue voulant que tel domaine serait, par nature ou par essence, dédié au masculin ou au féminin.
Mesure-t-on l’impact de ces préjugés sur le terrain ?
Edith Maruéjouls : c’est ce que j’ai abordé dans ma recherche. Mon raisonnement était simple. Si un hôpital devait être fréquenté par 90 % d’hommes, on s’interrogerait sur les raisons pour lesquelles les femmes n’ont pas accès aux soins. Je me suis posé la même question pour l’accès aux loisirs qui, financés par l’impôt, renvoie aux principes républicains et démocratiques d’égalité de droits. Les résultats sont sans équivoques. Pour ce qui est des disciplines sportives, il y a un déficit dans l’offre : non seulement les équipes sont ouvertes soit aux filles, soit aux garçons, mais il y a bien moins d’équipes féminines : le rapport féminin/ masculin est de 30%/70%. Pour ce qui est du secteur artistique et culturel, l’offre est bien plus équilibrée. Mais, la répartition est basée sur le genre : il n’y a, par exemple, aucun garçon dans les clubs de danse. Pour ce qui est des maisons de jeunes, aucune distinction de sexe n’est affichée quant à l’accès aux lieux, mais la légitimité de la présence des filles n’est pas toujours validée. La parité peut donc masquer la non-mixité et la mixité peut masquer l’inégalité dans la fréquentation. Trop souvent, on retrouve la répartition genrée traditionnelle : l’espace public réservé aux garçons, les filles étant renvoyées vers l’espace privé.
Comment peut-on concrètement modifier cet état de fait ?
Edith Maruéjouls : en travaillant activement à faire reculer ces inégalités. Notre société s’est engagée dans une démarche d’égalité législative et d’égalité réelle. Mais on constate combien les résultats sont bien loin de répondre à cette ambition, que ce soit en matière économique (égalité des salaires homme/femmes), au sein des couples (participation aux tâches ménagères, par exemple), de vie sociale (présence dans la vie politique). Des progrès ont été accomplis. Mais, il reste beaucoup encore à faire. Et cela commence dès l’enfance. Dès lors où l’on se fixe pour objectifs de déconstruire les stéréotypes sexués, bien des actions peuvent être menées. Des modules spécifiques peuvent être programmés lors des formations initiales et continues. Ce que le CNFPT propose déjà, d’ailleurs. Les expertises existent et peuvent être sollicitées. Des programmes sont même financés par l’Europe qui est très sensible et en pointe sur ces questions d’égalité entre les sexes. Il est possible de monter des actions, en s’appuyant sur des partenariats locaux ou nationaux. Mais, il faut surtout faire confiance à l’intelligence collective des professionnels de terrain qui sont tout à fait capables d’une grande créativité, quand il s’agit d’imaginer des actions pour favoriser le vivre ensemble. Cela commence par le partage des tâches communes dès que les garçons ne veulent pas nettoyer la table du goûter et que les filles se proposent spontanément à le faire. Il ne s’agit pas de s’opposer aux normes de la famille, si celles-ci sont fondées sur le genre, mais de proposer d’autres valeurs. Cela a toujours été l’ambition de l’école républicaine de proposer une parole alternative. J’ai ainsi accompagné des enseignants, pendant cinq ans, dans une école maternelle. Les résultats ont été très intéressants : les petites filles se voyaient devenir camionneuse et les petits garçons puériculteur ! C’est comme lorsqu’on jette un petit caillou dans l’eau : les ondes successives qui se propagent sur la surface de l’eau peuvent aller très loin.
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Jacques Trémintin - Journal de L’Animation ■ n°168 ■ avril 2016