Maurel Olivier - La fessée
Olivier Maurel est père de cinq enfants, professeur de lettre en retraite et auteur de plusieurs livres sur les châtiments corporels. Que de chemin parcouru, depuis la publication de son premier ouvrage, il y a presque quinze ans. Il a été rejoint par de nombreuses personnalités, mais continue à agir pour faire évoluer notre société, à la tête de l’Observatoire de la Violence Éducative Ordinaire.
Quel pensez-vous de l’évolution des mentalités sur la fessée ?
Olivier Maurel : On est encore loin du but. Mais, depuis la première édition de mon livre La Fessée (1) en 2001, il y a eu en France des avancées considérables. De nombreux ouvrages préconisant une éducation sans violence ont été publiés et sont souvent parmi les meilleures ventes de livres de puériculture (2). Notamment, celui de la pédiatre Catherine Gueguen, édité en 2014, Pour une enfance heureuse (3), qui explique sur la base des résultats les plus récents de la recherche, pourquoi il faut élever les enfants avec douceur. Depuis quelques années, de nombreuses associations locales de parents m'ont invité à tenir des conférences, mais aussi des CCAS, des conseils généraux, des Instituts de travail social. De nouveaux magazines préconisent une éducation sans violence (4). Deux colloques autour de la question de la violence éducative ont réuni, à Paris, en 2010 et 2012, plusieurs centaines de psychothérapeutes. Mais aussi : deux campagnes télévisées organisées par la Fondation pour l'enfance, deux propositions de loi, trois films sur la violence éducative (5). Le 30 avril, journée de l'éducation sans violence, est venu s'ajouter au 20 novembre, journée des droits de l'enfant. Des médecins, Edwige Antier, Gilles Lazimi, Michel Meignant agissent, chacun à leur manière, pour obtenir l'interdiction des punitions corporelles et humiliantes. Au niveau international, la campagne pour l'interdiction de la violence éducative dans tous les États européens menée, en 2008, par le Conseil de l'Europe a été relayée par la demande du Comité des droits des l'enfant qui, tous les cinq ans, rappelle à la France qu'ayant signé la Convention des droits de l'enfant, elle doit interdire les punitions corporelles et humiliantes. Une plainte a d’ailleurs été déposée contre la France, par l'ONG APPROACH , auprès du Conseil des droits européens. Tout cela fait progressivement évoluer l'opinion publique. Le pourcentage de parents qui disent frapper leurs enfants est passé de 84 % en 1999 à 67 % en 2009 et, selon un sondage, à 40% en 2014. En novembre 2014, la secrétaire d'État aux affaires familiales, Laurence Rossignol, a pris clairement position en faveur d'une loi d'interdiction et demandé à rencontrer des personnalités favorables à cette loi.
Quel est l’argument qui résiste le plus au raisonnement que vous tenez et comment y répondez-vous ?
Olivier Maurel : « J'ai moi-même reçu des gifles et des fessées, elles m'ont fait beaucoup de bien ! ». A ceux qui utilisent cet argument, je demande s'ils sont sûrs que les gifles et fessées leur aient fait vraiment du bien, puisqu'en recommandant ce mode d'éducation, ils bafouent deux des principes de morale les plus élémentaires que les parents doivent, en principe, enseigner aux enfants : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu'on te fasse » et « Il est indigne et lâche de la part d'un être grand et fort de frapper un être plus petit et plus faible que lui ». C'est le contraire de ces principes qu'on pratique, et donc qu'on enseigne par l'exemple, quand on frappe un enfant.
Comment expliquez-vous l’invraisemblable masse d’inertie combinée avec l’extrême banalisation que l’on constate dans notre pays, face à cette question ?
Olivier Maurel : A mon avis, la forte influence de la psychanalyse en France a contribué à maintenir la vieille théorie, jadis exprimée notamment par le dogme du péché originel, selon laquelle les enfants sont de petits animaux sauvages dont il faut absolument réprimer les « mauvais penchants » et qu'il faut « corriger ». D'où l'insistance mise par les personnalités médiatiques, souvent proches de la psychanalyse, qui contribuent à former l'opinion, sur la nécessité de « frustrer » les enfants, de leur « poser des limites » pour qu'ils ne deviennent pas des « enfants-rois ». Les mêmes personnalités sont d'ailleurs très mal informées sur les effets de la violence éducative ordinaire.
Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que les comportements violents ne sont pas innés chez l’être humain, mais qu’ils sont le produit d’un conditionnement social ?
Olivier Maurel : Tout d'abord, nos cousins les grands singes, qui sont très proches de nous, ne frappent ni ne punissent jamais leurs petits, dans un but éducatif. Quand les mères voient que leurs petits se mettent en danger, elles les prennent et les éloignent. C'est seulement lorsqu'ils sont adolescents que les mères les malmènent parfois, s'ils s'en prennent à un nouveau-né. D'autre part, beaucoup de sociétés de chasseurs-cueilleurs ne frappent, ni ne punissent jamais leurs enfants. Pour eux, les enfants s'éduquent par l'exemple et non par des sanctions. Notre espèce, l'homo sapiens sapiens, a vécu 90% de ses 200.000 ans d'existence, au stade de chasseurs-cueilleurs. Il est probable que jusqu'au néolithique, il y a 12.000 ans, ils ne frappaient pas non plus leurs petits. C'est aussi le moment où apparaissent les premiers signes de violences meurtrières entre membres de l'espèce humaine. C'est probablement la révolution de l'agriculture et de l'élevage qui a amené les hommes à adopter l'habitude de frapper les enfants, notamment lorsqu'ils les ont fait participer aux travaux des champs ou à la garde des troupeaux.
Il faudra, sans doute, du temps pour que vos convictions l’emportent : êtes-vous optimiste ou pessimiste ?
Olivier Maurel : Pour ce qui est de la France, je pense que la pression venue de l'intérieur et de l'extérieur va faire que la loi sera votée, dans un délai de trois ou quatre ans. Mais la loi ne suffit pas. Il va falloir que l'information suive et que soit mise en place une aide efficace aux parents. Il faudra beaucoup de courage aux hommes et femmes politiques pour prendre ces mesures qui seront impopulaires, pendant un certain temps. Mais normalement, les enfants devraient commencer à ressentir les avantages de ces changements dans les années qui viennent. Et lorsqu’ils seront adultes, la société toute entière commencera à bénéficier de ce changement dans beaucoup de domaines.
Si le combat n’est pas gagné dans notre pays, il est très loin d’être engagé dans beaucoup de pays du tiers-monde : y a-t-il quand même quelque notes d’espoir ?
Olivier Maurel : Sept pays d'Amérique latine (Argentine, Bolivie, Brésil, Honduras, Costa Rica, Venezuela, Uruguay) et six pays d'Afrique (Togo, Tunisie, Kenya, République du Congo, Sud Soudan, Cap Vert) ont voté une loi d'interdiction des punitions corporelles. Reste à vérifier l’application de ces lois. Mais si elles ont été votées, cela signifie qu'il existe dans ces pays des associations, des personnalités qui vont faire pression pour qu'elles le soient. Nous devons les encourager par notre propre exemple, au lieu de traîner les pieds.
([1]) La Plage, 2001 et 2004. Une nouvelle édition augmentée et mise à jour est prévue fin janvier 2015.
(2) Notamment Une nouvelle autorité sans punition ni fessée de Catherine Dumonteil Kremer (Nathan, 2014), J'ai tout essayé et Il me cherche, d'Isabelle Filliozat (J.-C. Lattès, 2011 et 2014).
(3) « Pour Une Enfance Heureuse - Repenser L'éducation À La Lumière Des Dernières Découvertes Sur Le Cerveau » catherine Gueguen, (Robert Laffont, 2014)
(4) PEPS http://pepsmagazine.com / Grandir autrement www.grandirautrement.com ; L'Enfant et la vie www.lenfantetlavie.fr
(5) Amour et châtiment, L'Odyssée de l'empathie de Michel Meignant et Mario Viana, et Si j'aurais su, je serais né en Suède, de Marion Cuerq (ce dernier visible sur le site de l'Observatoire de la violence éducative ordinaire, www.oveo.org). Un autre, de Paul Saint Hesse, Qui bene amat, est en préparation.
Lire le dossier : La fessé
Jacques Trémintin - Journal de L’Animation ■ n°156 ■ février 2015