Delemar Eric - Atteintes aux droits des enfants

dans Interviews

Éric Delemar, ancien directeur du centre départemental de l’enfance d’Ille-et-Vilaine a été nommé défenseur des enfants en novembre 2020. Quel bilan d’étape pose-t-il en ce début 2023 ?

« Les atteintes au droit des enfants sont multiples »

 

Quel est l’état de la protection de l’enfance en France ?

Le rapport publié récemment par les inspections des ministères de la Justice et des Affaires sociales se termine par un constat alarmant : un dysfonctionnement systémique persistant. La loi de 2016 devait corriger le cloisonnement des institutions. Aujourd’hui, pourtant rien n’a structurellement changé : la protection de l’enfance est morcelée, fractionnée, au détriment des enfants les plus vulnérables. Et alors que les acteurs restent très mobilisés, ces cloisonnements institutionnels conduisent à une déresponsabilisation de chacun...

 

Le traitement réservé aux mineurs non accompagnés vous semble-t-il satisfaisant ?

Les nombreuses saisines que nous recevons montrent que le climat de suspicion perdure à toutes les étapes de leur parcours, de l’entrée sur le territoire, à la non mise à l’abri pendant des périodes d’évaluation ou dans des conditions d’accueil dégradées, sans accès aux soins et à l’éducation. Et même une fois confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE), beaucoup vivent dans des hôtels où ils se trouvent livrés à eux-mêmes, voire exposés à des réseaux de prostitution ou de trafic de drogue. À chacune de ces étapes nous observons de réelles inégalités territoriales, dans l’accès à la protection, aux soins, à la demande d’asile, mais aussi dans la formation des professionnels. Certains mineurs n’ont pas de référents, ou ne les voient pas. Les services préfectoraux utilisent les démarches engagées par les professionnels dans le maintien du lien avec la famille du pays d’origine pour contester leur statut de mineurs isolés. Ce qui montre qu’ils restent avant tout considérés comme des étrangers avant d’être des mineurs en danger. Le coût de leur prise en charge par les départements ne saurait constituer un argument suffisant pour ne pas assurer leur protection.

 

La scolarisation des élèves porteurs de handicap est-elle adaptée ?

Chaque année, le nombre des élèves en situation de handicap scolarisés progresse (430 000 pour 2022/2023), mais nous n’avons aucun chiffre permettant d’identifier le nombre de ces enfants n’ayant accès ni à l’école ni au secteur médico-social. Pas plus que pour ceux scolarisés à temps partiel. Dans le médico-social, on ne crée plus de places. Dans certains départements, le nombre d’enfants sur liste d’attente est plus important que celui des places disponibles. Ce qui oblige des parents et le plus souvent les mères, à quitter leur emploi pour s’occuper de leur enfant à la maison. Et si la famille déménage, elle n’est pas sûre de pouvoir rescolariser son enfant dans la région où elle s’installe. Le virage inclusif s’effectue encore trop souvent dans de mauvaises conditions. À eux seuls, les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) ne peuvent offrir le soutien d’une équipe formée, avec éducateur spécialisé, éducateur technique… Il est indispensable d’accélérer le déploiement des équipes d’enseignement externalisées des établissements ou services médico-sociaux au sein des établissements scolaires.

 

Comment se portent les droits de l’enfant à Mayotte ?

Nous sommes saisis de situations de rattachement de mineurs à un tiers inconnu ou à un tiers n’exerçant pas l’autorité parentale sur les enfants ou encore de modifications unilatérales, par les autorités administratives, de dates de naissance des adolescents interpellés pour afficher l’âge de la majorité aux fins de procéder à leur placement en centre de rétention administrative et d’appliquer des mesures d’éloignement.

Ces pratiques, contraires à la Convention internationale des droits de l’enfant, à la Convention européenne des droits de l’homme et à plusieurs ordonnances du juge des référés du Conseil d’État, constituent des atteintes graves à l’intérêt supérieur des enfants et bafouent leurs droits fondamentaux.

Nous avons fêté cette année le 140e anniversaire de l’école obligatoire qui avait pour ambition d’apporter une instruction publique, mais aussi de sortir les enfants des dangers de la rue, de toutes formes d’exploitation. À Mayotte, il s’agit d’abord de faire en sorte que les enfants soient scolarisés et près de 8000 ne le sont pas.

 

Finalement, qu’est-ce qui va bien et progresse pour les enfants dans notre pays ?

Une secrétaire d’État à l’enfance a été nommée avec une dimension interministérielle, une délégation aux droits de l’enfant a été constituée à l’Assemblée nationale. On n’a jamais autant parlé des droits de l’enfant, et c’est une réelle amélioration. Encore faut-il que sur le terrain l’accès aux droits soit une réalité. Les besoins sont importants. Les enfants qui ont ouvert notre dernier séminaire européen en 2022 ont exprimé qu’ils grandissaient dans un monde de crises multiples, climatique, sanitaire, terroriste, avec la guerre à nos portes, la peur du déclassement, et qu’il était urgent de prendre le temps de les écouter, de les considérer. Les jeunes ont terminé en disant que les enfants, c’est comme la lutte contre le réchauffement climatique, tout le monde en parle, mais ça n’avance pas. Alors que les deux sont l’avenir de l’humanité…

 

Quelle devraient être les mesures à prendre ?

De faire valoir leur droit à s’exprimer sur les décisions qui les concernent et les outiller pour grandir dans un monde complexe

Une mesure me semble prioritaire entre toutes : renforcer les compétences psychosociales des adultes intervenant auprès des enfants, pour faciliter la prise de parole de ces derniers, leur permettre de faire valoir leur droit à s’exprimer sur les décisions qui les concernent et les outiller pour grandir dans un monde complexe.

Du côté des différentes instances concourant à la protection de l’enfance, se pose la question essentielle de la coordination, régulièrement réaffirmée, mais peu appliquée. Lors de l’un de mes déplacements, une préfète a réuni en ma présence ce que pourrait être un futur comité départemental pour la protection de l’enfance prévu par l’article 37 de la loi de 2022. Le directeur académique des services de l’Éducation nationale, le directeur territorial de la protection judiciaire de la jeunesse, la directrice territoriale de l’agence régionale de santé (ARS), la vice-présidente du département, et leur Directeur enfance-famille, le parquet et le tribunal pour mineur étaient présents. Nous avons échangé sur les coordinations, les articulations, les décloisonnements. Il faut donner un espace, un horizon aux praticiens pour qu’enfin ils puissent retrouver un sens à leur action.

La crise sanitaire n’est venue qu’exacerber une situation de dégradation des conditions de travail, mais aussi un manque de considération envers les professionnels. De plus, les contraintes et pressions administratives n’ont eu de cesse que de grignoter, d’empiéter sur le temps de la relation éducative. Il faut leur redonner le pouvoir d’agir, car ce sont de formidables artisans du quotidien. Il faut également mieux les former aux droits, aux sciences humaines, les former à former les enfants à leurs droits.

 Lire l'article : Comment réussir sa vie adulte quand on sort de l’ASE ?

 

Défenseur des enfants

Mode d’emploi

Le Défenseur des Enfants est l’un des quatre adjoints de la Défenseure des droits, nommée pour six ans non renouvelables, par décret du Premier ministre. Toute personne, mineure ou majeure, peut saisir l’un de ses 550 délégués présents sur tout le territoire.

Entre 2020 et 2022, près de 10 000 saisines relatives à la défense des droits de l’enfant ont été instruites.

Il est possible de lui écrire : Défenseur des droits, Libre réponse 71120-75342, Paris cedex 07 (sans affranchissement) ; de lui téléphoner : 09 69 39 00 00 ; de consulter son site : www.defenseurdesdroits.fr

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1330 ■ 03/01/2023