L’évadé de belle-île. Histoire d’un bagne pour enfants
NESSMANN Philippe et MACOL Piero, Éd. des Éléphant, 2025, 44 p.
« J’ai été sur l’île, moi aussi. Je vous écris pour que les gens sachent que c’est vrai, ce qui a été dit. Si ça peut éviter à d’autres enfants d’y aller... » Ainsi commence l’une des centaines de lettres que d’anciens bagnards adressent à Alexis Danan.
Le journaliste du quotidien « Paris-Soir » vient de publier une série de reportages sur le bagne de Belle-Ile. Joseph veut, lui aussi, témoigner de l’enfer qu’il y a vécu. Dans son courrier, il raconte son histoire. Agé de 14 ans il vit à la rue, après la mort de ses deux parents. Pour survivre dans un froid qui fait geler ses pieds, il vole une paire de chaussure. Dénoncé par le commerçant et arrêté, le juge des enfants l’envoie à la « maison d’éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer », pour soi-disant y apprendre un métier.
Mais c’est dans un bagne d’enfants qu’il arrive. Première nuit : le cachot. Puis, jour après jour, il est levé tôt et couché tardivement, enfermé dans une cage. Entre les deux, il trime dans un atelier où il aligne des sardines dans une boite de conserve. Le quotidien n’est fait que de châtiments et de sévices, d’humiliations et d’agressions, de terreur et de violence qu’exercent des gardiens brutaux et tout puissants, sous tous les prétextes.
Joseph se bat contre un caïd qui veut faire de lui sa femme. Cela lui vaut le cachot. Les mauvais traitements sont quotidiens, arbitraires et impitoyables. Mais, ce soir-là, la brutalité atteint son paroxysme. Comme pour la vraie émeute qui s’est effectivement déroulé en 1934, tout commence parce que Joseph a osé manger son morceau de fromage en début de repas, plutôt qu’à sa fin ! Il reçoit une pluie de coups.
L’insupportable a été atteint ses limites avec ce tabassage de trop. Le réfectoire explose. Les gardiens sont renversés et pris à partie. Les tables et les chaises sont fracassés. Un groupe d’enfants s’enfuit, espérant quitter l’ile. Mais, c’est sans compter sur les gens du pays et les touristes qui veillent. Recevoir 20 francs par évadé retrouvé, cela attise les convoitises. Le petit groupe est repris. Le retour est terrible : 60 jours de cachot avec une camisole de force.
Joseph est finalement retiré de cet enfer, sur intervention de sa famille élargie. Mais, il n’oublie pas pour autant ses frères de misère qui eux continuent à y vivre. A peine sorti, il va témoigner pour que tout le monde sache ce que l’on fait à ces bagnards qui ne sont que des enfants. Lui est sauvé. Mais combien resteront encore victimes dans les années qui suivront.
Il y eut d’abord les campagnes de presse (https://savoirsdhistoire.wordpress.com/2019/09/29/alexis-danan-et-le-scandale-des-bagnes-d-enfants/ ). Puis, Jacques Prévert en fit un poème (https://www.youtube.com/watch?v=19vC-os6LZw ) et commença un film qui ne vit jamais le jour (La fleur de l’âge). Ce site s’est fait l’écho d’un livre d’histoire (https://tremintin.com/joomla/livres/en-souffrance/delinquance/4553-le-bataillon-des-nuisibles-les-pupilles-de-la-colonie-penitentiaires-de-belle-ile-en-mer-1880-1918) et d’un roman (https://tremintin.com/joomla/livres/action-sociale-et-educative/accueil-placement/4716-l-enrage ).Aujourd’hui, c’est un livre pour enfants qui retrace cette sordide histoire. Tous les supports sont légitimes et bienvenus pour rappeler cet épisode. Aujourd’hui, 3 000 enfants dorment dans la rue, des dizaines de mineurs français sont encore abandonnés dans les camps syriens. Et 1 600 sont victimes chaque année d’agression sexuelle. Dénoncer la sauvagerie du passé qui doit rester dans nos mémoires, c’est aussi combattre celle qui continue à se dérouler sous nos yeux.